LITTÉRATURE: Mauvais plis, bons mots

Un premier roman réussi pour Anne Lardeux qui surprend agréablement par sa maîtrise du style et du langage.

Fuite et résistance. Des femmes, filles, fillettes dans un bled perdu où rien ne se passe, mais où toutes arrivent. Certaines repartiront. Mais il y a un noyau solide et solidaire où se mêlent un rien de dépit, un brin de partage, un esprit de survie.

Le groupe existe à la marge du monde. Nous sommes bien au Québec, pourtant, quelque part au centre de la belle province. Centrifugeuse, cette commune attire. Même une femme policière s’y fondra. Y passent quelque ados ou jeunes hommes. Un vieux y était déjà dans ce que l’on devine être un squat. Avec une langue métaphorique, la romancière crée un îlot contre une fin du monde qui pourrait être au coin de la rue. On ne sait jamais.

Les choses de la chair occupent les insulaires puisqu’il n’y a guère d’autres activités à faire, en dehors de ce que suggère la société capitaliste avoisinante. C’est une sorte de refus global de ce système dans la plus grande tolérance humaine qui soit. Marcher, chasser, couper du bois, manger, baiser, dormir et on recommence. Les mauvais plis ne sont néfastes qu’aux yeux d’une certaine morale et vus de l’extérieur de ce clan qui n’en est pas vraiment un.

Le récit propose un retour à l’animalité et aux sens. On y pense avec ses pieds, son estomac, son sexe. Comme dans un monde à part, même si les mots de l’autrice visent au coeur de l’existence. Les références à la vie réelle pointent ici et là.

« On croit qu’il ne se passe rien mais c’est plutôt que rien de ce qui se passe nous atteint, rien qu’on sentirait nous éclabousser comme une horreur vraie. […] Ici on ne meurt pas autochtones disparues ou sous les insultes d’infirmières ou les cris de maton. Ici les cartes de crédit sont loadées pour l’éternité et le monde mis à distance. Au milieu de cette absence, il arrive quand même que quelque chose se déchire et laisse filtrer une possibilité d’amour ou un vrai chagrin détrempant de son eau le pont du bateau. Ô capitaine quelle traversée. »

Il y a du Whitman, du Ducharme et beaucoup d’autrices québécoises contemporaines chez Anne Lardeux. Un sens de l’épopée et une fascination du langage comme s’il pouvait changer le monde. Comme si le fait de danser en plein tribunal devant un juge pouvait faire justice…

Pourtant, elles n’échappent pas totalement au réel ces Amazones de l’incertain. De la commune, on passe à la prison, d’un camp à un chantier, d’une station à un village. Avec beaucoup de lumière venant de l’intime, ce petit monde tente de se suffire à lui-même sans trop se frotter aux autres planètes.

Même si on sent que les fils narratifs s’entremêlent parfois un peu trop, le style de l’autrice séduit. Les voix se multiplient, mais se fondent en une seule, la sienne. La néo-romancière a eu beau travailler pour l’Agence Science Presse, c’est la poésie qui la nourrit. Et nous ravit.

« Mona toute entière enracinée dans la connaissance millénaire du monde à habiter, dans la justesse des gestes, dans leur habileté. Elle sait nourrir, elle sait soigner, elle saura survivre. »

Ou encore.

« Nous courons pour nous sauver, nous courons pour respirer, nous courons en animaux bien aiguisés fiers de découvrir cette puissance. Nous pourrions courir la nuit entière sous la lune. »

Anne Lardeux « avance pas à pas dans cette glaise lente du monde » et nous la suivrons.


Anne Lardeux

Les mauvais plis

L’Oie de Cravan

230 pages