
Objet hétéroclite où se dévisagent précision et chaos, Catapulte de Josiane Bernier et Nicolas Cantin suscite la fascination et les questionnements. Quelque chose de poétique émane de ce travail aux confins de la performance, du théâtre, de la danse et de l’installation.
La Chapelle – scènes contemporaines porte bien son nom en nous offrant ce spectacle hybride, expérimental, dans le plus beau sens du terme, semblant vouloir tirer dans toutes les directions à la fois, mais qui évoque en même temps des idées-concepts bien précis. Bienvenue dans la Catapulte de Josiane Bernier et Nicolas Cantin.
Les deux artistes ont voulu explorer ce sentiment d’être projetés vers l’avant, lancés loin, voire expulsés d’un corps, d’une société, de la vie.
Dans cet horizon très large, plusieurs interprétations peuvent coexister. Au sens propre, d’abord, le corps de la danseuse est toujours dirigé vers un point précis de l’espace, aux quatre coins de la salle qu’elle rejoint en marchant, le plus souvent, et en traçant des lignes diagonales. Ses mains se joignent pour former une flèche vers l’infini du dehors, mais aussi vers le dedans.
Équilibre
Entremêlant pas de danse et acrobaties, sa gestuelle se base, essentiellement, sur une recherche d’équilibre en se tenant, par exemple, sur un pied ou une seule partie du corps tout en gardant la pose. Elle finit par occuper l’espace au complet qu’elle observe autant que nous, comme spectateurs.trices.
À divers endroits sont déposés des accessoires – vêtements, balles, jouets, contenants de nourritures, toiles en plastique, rat en plastique, etc – dont elle s’emparera pour se les approprier, les faire siens, en elle. La performeuse bouffe littéralement et figurativement.

Sur la bande son, on entend des commentateurs de curling puis de billard, « sports » incompréhensibles à bien des égards, mais qui nécessite, on le comprend assez vite, énormément de précision. Quant à lui, le chaos surgit par l’éparpillement, aléatoire ou non selon le point de vue de chacun.e, des accessoires sur le plateau.
Josiane Bernier sera coiffée à tour de rôle d’une casquette du type « John Deere », d’une bombe ou casque d’équitation et d’une cagoule hivernale accompagnée de lunettes de ski. Ce qui nous amène à penser à un sous-texte, voulu ou non, au sujet de ces articles qu’on peut qualifier de très « canadiana ».
En entendant parler de curling en anglais et en saisissant l’enthousiasme des commentateurs.trices pour un sport qui, avouons-le, manque totalement d’excitation, on croit y voir un clin d’œil à cette culture pas tout à fait québécoise, voire proche et distante de la nôtre à bien des égards. Surtout, quand la performeuse se drape dans une toile bleue turquoise qui rappelle étrangement la bannière québécoise, sans la fleur de lys.

Nous voilà peut-être trop loin du sujet de la catapulte… ou pas? La poésie de cette proposition consiste justement à ouvrir le sens en nous donnant quelques clés, mais en nous laissant le libre choix quand à la finalité.
La question posée au départ par les artistes suggère justement la difficulté de se tenir en équilibre dans un contexte qui dépasse l’entendement. Une espèce de climat chaotique qui force à poser des gestes involontaires. Épuisée, la performeuse se jettera su sol à un moment donné dans un geste d’abandon devant la complexité de la chose.
Et encore, elle s’approchera à maintes reprises d’un micro qui ne servira, en bout de ligne, à rien. Comme si le corps en action pouvait tout dire… ou pas! La bande son fait d’ailleurs écho à ce désarroi à la fin.
Sans doute, les mots sont de trop. Le corps n’a pas toutes les réponses non plus. Entre précision et chaos, l’élan existe pour ce qu’il est : une entité en mouvement tentant de trouver un point d’ancrage, mais impuissante à le maintenir perpétuellement.
Catapulte est présenté les 26 et 29 octobre au Théâtre La Chapelle