ARTS VISUELS : Manipulations somptueuses

Adam Basanta
Reina Sofia Geometric Object (after Augusto de Campos and Julio Plaza), 2022 Archival pigment print. Computer-generated aggregate using 44 images from Museo Reina Sofia collection / Impression jet d’encre. Ensemble généré par ordinateur de 44 œuvres de la collection du Museo Reina Sofia. 28 x 20.5 in.

Adam Basanta en est déjà à sa deuxième exposition cette année dans le grand Montréal, si on juge que celui-ci englobe la ville de Laval. Après avoir présenté Futurs possibles à la salle Alfred-Pellan de la Maison des arts de Laval, il exhibe des œuvres récentes qui rappellent quelque peu celles offertes dans la même galerie, Ellephant, en 2019, sous le titre de Paysage Passé Futur.

Cette fois encore, avec ces Database Paintings, Adam Basanta pille les collections de musées à la recherche d’images à faire se chevaucher ou s’incorporer les unes dans les autres, les unes sur les autres, on ne sait plus trop. Son champ d’investigation l’amène donc à s’immerger dans les œuvres numérisées, mises en ligne et à la disposition du public par les Musée Tate , Guggenheim et Reina Sofia de Madrid.

Chaque image est donc intitulée par le biais d’une référence à un artiste et à la collection du musée qui possède l’oeuvre en question. On a donc des titres tels :  Tate colour field (after Bridget Riley and Patrick Heron), Guggenheim colour field (after Mondrian), Guggenheim colour field (after Karel Appel) et Reina Sofia Faces (after Gary Hill), pour en citer quelques-uns. On est par la suite informés du nombre d’images qui sont à la source de cette œuvre devant nous. Dans le cas de celles citées ici, il s’agit de 17, 29, 11 et 26.

Adam Basanta
Guggenheim colour field (after Karel Appel), 2022 Archival pigment print. Computer-generated aggregate using 11 images from Guggenheim Museum collection / Impression jet d’encre. Ensemble généré par ordinateur de 11 œuvres de la collection du musée Guggenheim. 36 x 25 in. 92 x 64 cm

Il est assez savoureux de voir que la description qualifie les œuvres finales d’ensemble généré par ordinateur, selon les termes exacts employés. L’image de départ, celle qui sert de référence au travail de création, est donc soumise à l’appréciation d’un algorithme du logiciel Machine Learning. C’est à lui, par la suite, de sélectionner d’autres images qui présentent des similarités, dans l’optique qu’adopte ledit logiciel, avec l’image-source et de les soumettre à l’artiste.

Pour l’oeuvre inspiré de Gary Hill, c’est, par exemple, Bathing qui sert à partir le bal. Mais quels sont précisément les paramètres que se donne le logiciel ? On peut imaginer que des questions de formes, de textures et de sujets sont à la base de la recherche qu’il accomplit pour le bénéfice de l’oeuvre à venir comme de l’artiste. À ce stade, celui-ci ne se limite évidemment pas à reprendre tel qu’on le lui suggère le bilan de la recherche opérée par le logiciel. Il influe sur les données, guide le processus quelque peu et établit une sorte de seuil d’acceptabilité qui lui permet de limiter le nombre d’images proposées.

Ensuite, c’est le moment où peut s’amorcer une autre intervention numérique. Il faut maintenant faire travailler des processus permettant effet mosaïque et collage pour enfin parvenir à l’oeuvre finale. On peut ici se reporter, en fin d’article, à l’hyperlien conduisant justement à l’oeuvre Bathing, de Gary Hill et la comparer à ce qu’en a fait Adam Basanta.

Adam Basanta
Guggenheim portrait after Mapplethorpe (dark), 2022 Archival Pigment Print on Canvas / Impression jet d’encre sur toile 33 x 20 in 84 x 51 cm

Devant les images, on reste assez impressionné et quelque peu dubitatif. Réduits à se demander ce qui unit parfois une oeuvre-source dont on ne peut qu’imaginer la teneur et cette composante nouvelle qui s’en inspire. On joue, c’est évident, à créer des liens, à voir des traits caractéristiques de l’artiste, dans sa manière de créer habituelle. Les travaux ainsi présentés d’Adam Basanta sont, il faut le dire, assez somptueux, riches en couleurs et textures, chatoyants et séduisants. Ils peuvent faire oublier qu’il s’agit, bêtement, des effets d’une modélisation avec intervention humaine à la clé.

J’ai écrit un gros mot : bêtement! Mais est-ce vraiment bête? Ce n’est pas plutôt la simple illustration de la manière dont notre monde moderne traite l’information disponible ? Sous la surface diaprée de ces tableaux, il en est d’autres dont on ne sait rien, que nos engins modernes de recherche et de travail savent avaler sans effort et sans logique propre; sans discernement, je dirais. Nous sommes dans un monde de reports infinis, d’affinités dont on ne connaît pas les fondements propres, de correspondances qui s’affoleraient à l’infini si l’artiste n’était pas là pour stopper la folle cavalcade. Nous jouissons de ces tableaux mais sur la base d’une complète ignorance quant aux sources et d’une vague familiarité avec des opérations qu’on imagine confusément connaître.

Adam Basanta peut bien multiplier les médiums, recourir à des manipulations qui apparaissent chaque fois différentes et inédites (et qui le sont!). Mais il est toujours question, dans ses œuvres, de ce que nous savons, croyons savoir et de la manière et des outils grâce auxquels nous en venons à connaître ce que nous connaissons.

Adam Basanta
Reina Sofia Bodies (after Carolee Schneeman), 2022 Archival pigment print. Computer-generated aggregate using 30 images from Museo Reina Sofia collection / Impression jet d’encre. Ensemble généré par ordinateur de 30 œuvres de la collection du Museo Reina Sofia. 22 x 22 in. 56 x 56 cm


Adam Basanta, Database Paintings Galerie Ellephant, du 14 mai au 20 juin 2022

Gary Hill, Bathing, 1977, vidéo, 4:25 minutes

Pour visionner la vidéo :