
Le Magasin général présente cet été des oeuvres des artistes Leila Alaoui, Jocelyne Alloucherie, Jérémy Gobé et Justin Weiler. Créé en 2015, le centre de résidence, de production et de diffusion en art actuel est situé à Rivière-la-Madeleine en Gaspésie. Une visite qui vaut amplement le détour, écrit Sylvain Campeau.
C’est en 2015 que l’aventure commence. Jacky Georges Lafargue accueille une première artiste au Magasin général, Evelyne Leblanc-Roberge, pour une résidence-création-exposition. Suivent Mutations, en 2016 et Natura Loci, par la suite, deux expositions de groupe; la seconde, un commissariat de Paul Ardenne, qui prend goût au travail et à la région, semble-t-il, puisqu’il veut récidiver rapidement. Naissent l’idée et le projet de Présence. Mais la pandémie vient s’installer (pour combien de temps!) et les collaborations avec l’étranger sont suspendues pour un temps, dixit les différents Conseils des arts impliqués.
En 2022, ça débloque et il faut procéder assez vite. Grâce à Dieu, tout est pas mal prêt. Il ne reste qu’à agir. Rivière-la-Madeleine verra donc arriver le 15 juillet, enfin, cette exposition. Sise au deuxième étage du Magasin Général, elle réunit les travaux de Leila Alaoui, Jocelyne Alloucherie, Jérémy Gobé et Justin Weiler.
Pas de projection extérieure, cette fois! C’est un peu dommage car, dans l’environnement de ce petit village de Haute-Gaspésie, l’impact d’une telle présentation est grandiose. On a pu en faire l’expérience en 2016 avec Mutations.

Leila Alaoui présente Crossings, une vidéo de 6 minutes 15 secondes, datant de 2013, trois années avant sa mort au Burkina Faso. Elle y a été la victime de l’attentat du 15 janvier 2016, revendiqué par Al-Qaïda. La pièce, à la base présentée en 3 écrans, a été ici réduite, faute d’espace, à un seul. Elle y présente un travail alliant documentaire et arts visuels. Il s’agit tout d’abord d’un colligé des réactions de migrants sub-sahariens, attirés au Maroc par l’espoir d’une vie meilleure. Déçus, en état de survivance précaire dans leur nouveau pays, ils pensent à aller au-delà, en Europe, inquiets à l’idée d’encore connaître une désillusion cuisante.
Voilà des gens dont la présence ne cesse d’être contestée, où qu’ils puissent être! Aucun lieu ne semble pouvoir leur offrir asile, leur permettre une existence décente, reconnue! L’artiste leur donne la parole et crée une courte-pointe d’images qu’elle associe à leur périple, imaginé par elle, évoqué à coups de séquences courtes et efficaces. L’ensemble ébranle, émeut; et encore plus quand on connaît son destin!
Jocelyne Alloucherie présente, quant à elle, Tous les vents, expressément créée en cette résidence et pour cette occasion. Dans ce triptyque, ce sont des images composites qui apparaissent. Sable mobile, jeté sur une image, elle-même reprise par scannophotographie, Tous les vents manifestent aussi du coup toutes les présences possibles, médiatisées, reprises sans cesses, dans un palimpseste infini. Il y a du nuage, là-dedans, des embruns, des rivages, des bords de mer, compressés dans cette somme d’éléments naturels en un feuilleté des existants. Présences excessives, désirées, emportées!

Jérémy Gobé a fondé ses plus récentes créations sur l’intérêt qu’il porte aux coraux. Il trouve en eux, en leurs formes, des affinités avec le point d’esprit, technique issue d’un savoir-faire traditionnel pour le tissage de dentelle. Artiste éco-responsable, Jérémy Gobé cherche les collaborations avec le milieu des techniques artisanales et les possibilités de créer avec des matières naturelles, à l’empreinte environnementale la plus nulle possible. Il offre ici une œuvre de réalité virtuelle, immersive, de 4 minutes, Corail Artefact.
Revêtant un casque de visionnement, écouteurs inclus, le spectateur assiste à une démonstration un rien pédagogique. L’artiste nous initie de fait aux fondements de son esthétique et témoigne de son impulsion première à oeuvrer de cette manière. Il est intéressant de constater que ce type d’instrument virtuel cherche une sorte de rehaussement de présence à l’oeuvre. Celle-ci nous arrive d’un travail numérique qui construit une réalité de toutes pièces. Que cela soit ici effectué sur la base d’un intérêt pour les coraux, qui tendent à la disparition, est en soi emblématique.
Justin Weiler est, avec Jocelyne Alloucherie, l’autre artiste à avoir fait une résidence de création au Magasin Général. C’est l’espace même de l’exposition, cette galerie au deuxième étage, qui été l’objet de son attention. Il en a inspecté l’aspect, les formes et la luminosité pour nous livrer des œuvres en deux diptyques et un polyptyque. Toutes sont des plaques de verre sur lesquelles une encre de Chine ou une acrylique a été appliquée de manière à exposer contrastes et silhouettes minimalistes de l’espace où elles se présentent. Screen, Screen Dédale Négatif et Screen Dédale oeuvrent ainsi de façon semblable.

Il s’agit de travaux d’ombres et de lumières captées dans l’espace, révélant des formes esssentielles avec des moyens essentiels. Pour chacune des pièces, il y a superposition de plaques qui crée des clairs-obscurs, du flouté, une nébulosité qui est celle de lumières indécises, de profondeurs inédites, de spatialités serines. La présence des œuvres, montrant les aspects du lieu même où elles s’offrent, nous ramène à la nôtre, surenchérit sur l’être-au-monde de chacun.
On ne peut que se réjouir de voir une exposition de ce calibre en Haute-Gaspésie. Le Magasin Général s’inscrit vraiment dans une tendance actuelle intéressante dont on retrouve des traces ailleurs de plus en plus (je pense au Centre Adélard à Frelighsburg, au Centre d’art de Kamouraska, aux Rencontres photographiques de la Gaspésie). Celle de donner de la présence aux artistes et de leur permettre, ainsi qu’à leur art, d’occuper adéquatement le territoire du Québec.

Présence
commissaire : Paul Ardenne
artistes: Leila Alaoui, Jocelyne Alloucherie, Jérémy Gobé, Justin Weiler
Rivière-la-Madeleine, Magasin Général, du 15 juillet au 13 août 2022