
Après son succès à Québec au printemps dernier, la Run de lait de Justin Laramée s’arrête à Montréal avant d’effectuer une grande tournée québécoise. Le comédien-dramaturge-metteur en scène plonge, avec ce documentaire théâtral, dans les remous brouillés d’une industrie laitière où rien ne semble plus aller.
Justin Laramée ne souffre pas de la comparaison avec Christine Beaulieu et sa pièce J’aime Hydro. Son documentaire théâtral Run de lait procède d’un travail similaire d’enquête approfondie sur un sujet national important. En scène, le comédien-dramaturge-metteur en scène offre également une performance chaleureuse où se côtoient humour et informations pertinentes, voire plutôt controversées.
« Christine [Beaulieu] et Annabel Soutar des Productions Porte parole m’ont aidé avec le projet. Le fait qu’on compare ma pièce avec un des spectacles les plus importants de la dramaturgie québécoise des 25 dernières années, c’est positif. »
Quelques faits d’abord. Le secteur laitier est le secteur agroalimentaire le plus important au Québec qui reste le plus grand producteur au Canada. Et ce, même si les fermes québécoises sont plus petites en moyenne que les établissements canadiens. En 1980, à la naissance de l’auteur, il y avait 21 982 fermes laitières québécoises. Il n’en reste que 4 766 qui abritent 375 000 vaches. Une des raisons de cette désaffection est le désespoir grandissant des producteurs.
« Ce n’est pas qu’ici que ça se passe, souligne Justin Laramée. Aux États-Unis, il y a cinq fois plus d’agriculteurs qui se suicident que d’anciens combattants. Plusieurs producteurs laitiers sont au bout du rouleau. Il y a un organisme pour leur assurer un répit, mais il subsiste une réelle détresse psychologique dans le milieu. »
Ce qui a commencé par une installation sonore déployée dans des fermes en 2016 est donc devenu, au fil de ses recherches, une pièce où l’artiste est accompagné sur scène par Benoît Côté, musicien et fils d’agriculteur. Le récit donne la parole aux producteurs et aux transformateurs laitiers ainsi qu’au gouvernement.
Témoignages
Justin Laramée s’est promené partout au Québec pour enregistrer les témoignages des acteurs de l’industrie, mais il relate aussi dans le spectacle les mésaventures d’un père de famille, lui-même, écartelé entre ses enfants qui boivent du lait, la qualité du produit et son absence de la maison pendant l’enquête.
« Mon constat est qu’il est difficile de changer les choses. Quelles sont les responsabilités des gouvernements, des transformateurs et des producteurs et que peuvent faire les consommateurs face au réchauffement climatique et à l’occupation du territoire, deux facteurs importants qui touchent à la production laitière ? »
Sur scène, Justin Laramée « joue » avec des haut-parleurs qui représentent ses interlocuteurs, soit ses propres enfants ou les représentants de l’industrie. La pandémie aidant, il a pu se donner à fond dans ce projet afin de bien comprendre ce sujet de plus en plus complexe et poser les bonnes questions aux bonnes personnes.

La gestion de l’offre, dont on parle souvent au sujet du lait, se base sur trois choses: assurer des revenus décents aux producteurs de lait de qualité, gérer la production sur le territoire par des quotas et éviter ainsi la surproduction, puis contrôler les frontières et l’importation de produits laitiers.
« On parle, en fait, du modèle coopératif québécois qui prend le bord si la gestion de l’offre disparaît. On est en train de jeter le bébé avec l’eau du bain. On demande donc au gouvernement pourquoi il ne fait pas respecter les frontières. Les transformateurs d’ici sont toujours en train d’importer du lait moins cher et de moins bonne qualité des États-Unis qui, eux, sont en surproduction. »
Fromage
Pendant 15 ans, raconte-t-il, les fromages québécois ont été fabriqués avec des produits laitiers américains au moment même où le système de gestion de l’offre devait empêcher de telles importations.
« Le Québec exporte des produits laitiers, mais comme le dit un transformateur dans le sepctacle, on vit dans un monde d’ingrédients laitiers depuis 10 ans. Le lait de base que l’on connaissait avant n’existe pratiquement plus parce qu’il y a davantage de profits à faire comme ça. »
Run de lait nous apprend aussi que la grande majorité des vaches au Québec ne sortent jamais en pâturage, ce qui est carrément illégal en Europe. Que la moitié des veaux sont tués d’année en année parce qu’ils sont mâles et qu’il y en a trop. Une vache génétiquement modifiée donne approximativement 45 litres de lait par jour comparativement à une vache au naturel qui ne produit que 10 à 12 litres par jour. Et on n’a même commencé à parler des choix étranges de la coopérative Agropur…
« Il y a quelque chose qui ne fonctionne pas dans la façon dont on a réaménagé le secteur laitier au Québec », conclut Justin Laramée.
Run de lait est présenté à La Licorne du 22 novembre au 21 décembre. La pièce sera en tournée partout au Québec en 2023.