
Le plus récent roman de Louis-Philippe Hébert parle de magie. Celle qui se donne en spectacle, mais aussi celle qui est partout autour de nous et en nous. Le récit aborde la vie d’un fonctionnaire asocial dont l’existence même relève du miracle. L’ensorcellement narratif passe aussi par l’écriture d’un magicien du verbe, un prestidigatateur capable de nous enfirouaper comme pas un.
Dans les années 70-80, la chanson de Michel Rivard, Le monde a besoin de magie (de l’album De Longueuil à Berlin) racontait l’histoire d’un magicien quelque peu malhabile et sans le sou. Elle parlait notamment d’un « fou comme moi qui ferait n’importe quoi / le monde a besoin de magie / et moi j’ai tellement besoin de lui ».
Louis-Philippe Hébert pourrait reprendre le titre de la chanson même si, à l’inverse du magicien de Rivard, il réussit aisément à nous faire croire à ses qualités d’illusionniste. Dans Le meilleur tour de magie de David Cloverfield, chez Lévesque Éditeur, on va de surprise en étonnement. Le livre a quelque chose d’un thriller métaphysique, d’une étude de mœurs, d’un roman fantastique, en plus de narrer des expériences très personnelles de l’auteur.
« C’est très autobiographique, confie-t-il. Dans tout ce que j’écris, j’utilise des éléments de vie, sans écrire au « je », pour mieux mettre en scène une histoire, un récit. En littérature, les matériaux qu’on possède sont surtout de nous et en nous. »
Grégoire Gavier, le protagoniste, travaille dans un bureau gouvernemental d’octroi de permis. Son prénom évoque celui du personnage de La métamorphose de Kafka, Gregor Samsa. Il ne se changera jamais en insecte, mais subira des transformations tout au cours du récit. Invité à un spectacle du grand magicien David Cloverfield – nom de famille qui se réfère au célèbre film d’horreur – Gavier fera partie du meilleur tour de l’illusionniste. Cloverfield fera disparaître de la scène de la Place des Arts un minibus où le fonctionnaire prend place avec quelque autres humains bizarroïdes.
Copperfield/Cloverfield
Le romancier souligne qu’il s’agit d’un roman tout à fait covidien, commencé avant et terminé pendant la pandémie. Un long accouchement pour cet écrivain prolifique qui avoue admirer le travail du vrai David Copperfield. Il a assisté à deux de ses spectacles d’ailleurs.
« La magie est un art qui se renouvelle continuellement, de plus en plus difficile à maîtriser en raison des technologies utilisées. Au début, c’était de la manipulation, question de diriger l’attention du public vers autre chose pour le surprendre. Au 19e et 20e siècles, la mécanique a permis d’utiliser les miroirs, les apparitions de fantômes, etc. Maintenant, on peut aller de plus en plus loin. Cette volonté de dépasser le maître est fondamentale en magie. »
Cette saine émulation traverse également toute l’histoire des arts visuels et d’autres disciplines artistiques. Depuis quelques parutions, Louis-Philippe Hébert fait beaucoup usage de termes de magie et de cirque, espèce de fourre-tout des arts du spectacle vivant dans lequel on a longtemps confiné la prestidigitation.
« Dans le roman, ce sont des métaphores de la vie quotidienne, de ce qu’on est ou pas. Dans le cas de Cloverfield, faire disparaître une douzaine de personnes et ne plus être capable de les faire revenir sur scène représente aussi la condition humaine. »
L’écrivain a vraisemblablement pris du plaisir à écrire ce livre qui nous promène de situations inattendues en saugrenues, comme s’il s’amusait à nous faire croire ceci alors qu’il se passe de toute évidence cela. Tel un magicien, il donne l’impression de se lancer des défis narratifs desquels il s’extirpe avec brio.
Obscurité angoissante
Une bonne partie du récit se déroule dans la noirceur complète. Les passagers du bus disparu peuvent s’entendre parler, mais ne se voient pas du tout, même assis l’un à côté de l’autre. L’angoisse ambiante permet au narrateur omniscient d’aborder des questions psychologiques, voire philosophiques et métaphysiques.
« Je m’intéresse à la théorie des univers. Gavier, aussi, en se remémorant son enfance lorsqu’il jouait avec des billes. Chaque bille est un univers qui permet de comprendre l’expérience du temps. En passant d’une bille à l’autre, on croit passer d’un univers à l’autre et vivre dans le temps, alors que le temps est inifini, c’est-à-dire qu’il n’existe pas de linéarité complète. »
Pensons au temps pandémique que nous éprouvons depuis… quelque temps! Certains jours, il nous arrive de penser qu’il n’est rien arrivé depuis mars 2020, tandis qu’à d’autres moments, nous avons l’impression que la pandémie dure depuis une décennie. Comme dans les rêves. Ce qui nous amène au sujet de la mort, sans laquelle, nous n’aurions pas besoin du temps comme notion.
Au centre du livre, donc, Grégoire, tout comme son créateur lors de l’enfance, auront frôlé la mort. Ces garçons marginaux – Grégoire qu’on soupçonne faire partie du spectre de l’autisme et l’écrivain solitaire dans la vraie vie – auraient pu laisser leur peau dans une explosion qui a projeté à l’intérieur de leur boîte cranienne un tout petit caillou indélogeable. Ils en sont, évidemment, sortis indemnes quoiqu’à jamais transformés.
« Dans ce livre-là, tout est vrai sauf l’assemblage qui vient créer une autre temporalité dans laquelle les personnages se déplacent. Ils n’ont ni futur ni passé et n’existent que dans le présent continuel du roman. »
Serait-ce que la vie, finalement, est un tour de magie qui n’a pas fonctionné ? Le roman devient alors une recherche du sens de la vie. Et, dans le regard de l’enfant, tout est magique, même un tour qui peut être considéré comme raté.
« Le monde dans lequel on vit présentement n’est pas nécessairement la chose la plus agréable qui soit. Je voulais rendre hommage à ceux et celles qui le ressentent et en sont affecté.es profondément », conclut l’écrivain.
Louis-Philippe Hébert n’en a pas fini avec la magie. Quelques recueils de nouvelles sont déjà en route. La poésie n’est jamais loin non plus. L’écrivain ne disparaîtra pas de sitôt de la scène. Et autant se l’avouer, par les temps qui courent, le monde a vraiment besoin de magie.
Louis-Philippe Hébert
Le meilleur tour de magie de David Cloverfield
Lévesque Éditeur
360 pages