LITTÉRATURE : Humainement titanesque

Farley Mowat est un écrivain et un environnementaliste canadien dont les livres ont été traduits en 52 langues. Il a acquis la notoriété grâce à des livres comme People of the Deer, sur les Inuits, et Never Cry Wolf, fiction réhabilitant le loup, dont a été tiré le film Un homme parmi les loups. Il est aussi connu pour ses différends avec Joey Smallwood. premier ministre de Terre-Neuve de 1949 à 1972. Fasciné par la province où il a habité, il est considéré comme un des piliers de sa renaissance culturelle.

Mort à la baleine aborde d’ailleurs, d’une certaine façon, cette relation singulière de l’écrivain à cette terre. Disons-le tout de suite; on a affaire à un récit et non à un roman. On sent cela assez rapidement, alors que, connaissant tout de même de quoi il en retournera avec cette histoire, on attend l’arrivée de sa principale protagoniste. Un roman ne saurait nous faire aussi longtemps languir. Mais cette attente n’est pas vaine. L’écrivain nous dresse un portrait de la région, évoque son histoire, nous peint ses habitants.

Surtout, il raconte son coup de cœur, tout ce qui fit qu’il choisit, avec sa conjointe, d’y habiter. Le tissu social qui les environne tous deux est une toile de fond essentielle. Il faut aussi faire sentir aux lecteurs la nature et la teneur des lieux. Sans parler des pages consacrées à sa passion pour les baleines, animaux dont on connaît bien peu de choses, hors l’usage immodéré qu’on put faire de ce qu’elle peut apporter, commercialement parlant. En-dehors de cela, on en sait bien trop peu et leur population déclinante est un autre obstacle important à notre désir de connaissance.

Quand la baleine arrive enfin, nous sommes fin prêts. Nous connaissons les environs, autour de Buergeo et de Messers Cove, pas loin de là, où habite Farley Mowat, de retour de 6 mois de voyages divers. Le gigantesque animal ne se manifeste d’abord pas seul. On signale quelques-uns de ses congénères dans les environs. Farley, tout émoustillé, cherche à les observer. Ce sont des rorquals communs, comme il en existe alors peu et possiblement à peine plus, aujourd’hui. Un concours de circonstances amène un de ces mammifères dans ce qui est décrit comme un étang, pièce d’eau étroite dont l’entrée est un goulot, ou pas loin : Aldridges Pond. Prisonnière de cette piscine naturelle, la baleine doit attendre une improbable marée plus généreuse que d’habitude pour ressortir. En attendant, il faut manger.

Sauver Moby Joe

Le narrateur aimerait bien trouver une solution et remue ciel et terre pour parvenir à sauver l’animal. Les choses se compliquent quand des excités décident que voilà quelque chose qui ferait un tableau de chasse intéressant. On se lance donc à l’assaut, à coups dérisoires de grosse carabine, au grand désespoir de Mowat qui s’agite en tous sens et qui arrive finalement à peu de choses. Mais tout n’est pas perdu; ses appels à l’aide finissent par trouver des oreilles attentives. L’animal devient Moby Joe, prenant le prénom du premier ministre Joey Smallwood, qui flaire la bonne affaire du point de vue des relations publiques mais qui ne fait rien de bien convaincant, dans les faits.

Entre ces réactions, bêtes et prédatrices, et d’autres, plus empathiques et salvatrices, Farley Mowat va difficilement naviguer et la réputation du patelin qu’il a choisi pour vivre, va en prendre un coup. Lui-même ne sait plus quoi penser de ceux qui étaient des proches et qui réagissent de façon parfois surprenante à son égard, aux sus de cet événement extraordinaire mais tragique, au final qu’est cet emprisonnement accidentel d’un animal mythique.

Il y a, dans cette histoire, quelque chose d’à la fois titanesque et de profondément humain. L’auteur n’en sort pas indemne, qui ne sait trop quoi penser de ce que sa conduite, bien intentionnée mais quelque peu excessive, a bien pu provoquer. Entre la conscience de son échec et sa répudiation par son entourage, entre ceux qui ont essayé avec lui, avec toute la force de leur conviction, et ceux qu’il a outragés parce qu’il les a peints de bien vilaines couleurs, il en sera quitte pour quitter un coin de paradis à jamais perdu pour lui.


Farley Mowat

Mort à la baleine

préface de Louis Hamelin

Éditions du Boréal, 2022 

260 pages