
Livre posthume de Serge Bouchard, La Prière de l’épinette noire offre une suite à L’Allume-cigarette de la Chrysler noire (2019) et à Un café avec Marie (2021). Il se dégage, à sa lecture, un certain parfum de mélancolie, une nostalgie alimentée d’ailleurs pour celui qui se charge de le préfacer, Jean-Philippe Pleau, bien orphelin aujourd’hui.
Mais Jean-Philippe Pleau sait aussi nous décrire le sérieux, l’application pleine d’humour, que savait consacrer l’écrivain à son labeur radiophonique. On conçoit bien comment, en la radio, un ton et une manière de créer, par la plume et la voix, ses inflexions singulières version Bouchard, un style s’est imposé, qui doit beaucoup à l’amour et à la compréhension qu’avait l’animateur de son médium privilégié.
J’aime lire le Bouchard loquace, celui qui s’étend en de plus longs chapitres sur ses objets d’études préférés et qui me communiquent une ferveur que je peux dès lors partager avec lui. J’avais oublié cette autre version de lui-même qu’il a pourtant si souvent présentée en des textes courts, frappés du sceau d’une pensée qui sait frapper juste et fort. Il est certain que son amour de la radio, de ce médium qui permet d’entrer subrepticement dans l’intimité des gens, de leurs pensées, y est pour beaucoup. Il nous parle du coeur à l’oreille et il faut croire que cette ouverture du corps nous mène subtilement à l’âme, à la nôtre et, dans l’autre sens, à travers ce chaman de la songerie qu’est Bouchard, à celle des choses et des êtres dont il nous parle.

Le mot est beau ; il m’arrive ainsi au détour de ce texte, sans crier gare : songerie. Il m’a été suggéré par l’occasion. C’est bien de songeries qu’il s’agit quand Serge Bouchard s’exprime ainsi. D’abord, il y a le fait que le sujet est comme lancé dans les airs, confié aux bons soins de ce médium aérien par excellence. On voltige avec lui; on perd quelque peu pied. Car Bouchard nous surprend et nous saisit dans ce que l’on suspecte autour de nous sans s’y arrêter. Lui sait le faire. Lui sait regarder, saisir quelque menu fait, quelques traits de ce monde, quelque événement passager, un écho de l’actualité ou un fait de l’histoire qui revient soudainement à la surface.
Les faits de l’Histoire
Il l’observe posément, sous toutes ses faces, s’attardant à celle qui se dissimule quelque peu. Il la déterre, l’époussette un rien, nous en parle. Et voilà qu’on ne peut plus voir rien d’autre! Voilà que cette face se donne comme l’entièreté, le coeur même, désormais mis au jour, de ce thème. Un pan d’obscurité vient de tomber et une mise au monde d’une idée éclairante vient de sa faire sous nos yeux. Car on n’a pas l’impression que cela a été téléguidé. Ce que l’on découvre, Bouchard le découvre avec nous, dans le même instant. On partage un certain ébahissement car l’homme n’est pas poseur. Il ne se glorifie pas de ce qu’il vient de découvrir. Il nous accompagne dans ce que nous avons su voir ensemble.
En plus, ne le dites à personne, mais le type est un brin moraliste. Pas sentencieux, cependant ! On en a connu d’autres comme lui ; je pense à Jacques Ferron. Il y avait aussi de la facétie dans les écrits de ce médecin. Peut-être cherchait-il, un peu celui-là, profession oblige, à nous guérir! Mais Serge Bouchard nous croit, le pauvre naïf, en pleine santé. Morale, surtout! Pas plus, pas moins sain que lui! C’est dire combien il veut s’abuser! Ensuite, Jacques Ferron avait la facétie un peu goguenarde, un rien tristounette. Il n’y a de désespoir, chez Bouchard, que d’être homme parmi les hommes et les femmes et d’essayer de faire avec cet état.
Bref, il faut aller lire ces petites perles de texte du monsieur. Il y a de la connaissance à aller y chercher, c’est certain. Mais il y a de la sagesse aussi. Serge Bouchard s’en étonnerait quelque peu. Il croirait certainement qu’elle n’a pu naître que dans cette rencontre entre lui et nous. Que, tout fin seul, sans chercher à aller à notre rencontre, rien ne lui serait ainsi venu. Son apparition, selon lui, dépend du fait qu’il ait sans cesse cherché à aller vers nous. À marcher vers l’humain et à tenter de l’atteindre !
Serge Bouchard
La Prière de l’épinette noire
Préface de Jean-Philippe Pleau
Éditions Boréal, Collection « Papiers collés »
2022, 216 pages