
Evergon, de son vrai nom Albert Jay Lunt, est riche d’une carrière de plus de 50 ans. Il l’est aussi de ses nombreux alter ego dont le plus connu et le plus constant reste tout de même celui que l’on voit ici clore le bal, ou presque : Evergon. Son exposition, Théâtres de l’intime, est présentée au MNBAQ.
Déjà, cela est révélateur. Il a préféré multiplier les versions de lui-même, s’affubler de personas qui convenaient mieux à ce qu’il désirait faire, à ce qu’il choisissait de montrer comme à ce qu’il désirait être. Ce côté protéiforme, on le retrouve dans toutes les recherches qu’il a pu mener en suivant le fil de l’image. Holographie, cyanotypie, photocopie, art Polaroid, lithographie, kodalith, il a cherché à tout expérimenter. Et il l’a fait souvent, mais pas uniquement, en développant une imagerie qui se nourrissait de sa libido homosexuelle.
Ses séries les plus connues sont évidemment présentes. Elles prennent un autre sens dans cette présentation chronologique, qui fait le bilan du chemin parcouru depuis les débuts de sa longue carrière. Les regarder à la suite l’une de l’autre donne aussi une idée de l’envergure de ce parcours de création. Tous y sont. Egon Brut et Celluloso Evergonni sont réunis dans la réalisation de la série des Ramboys. Les œuvres des Chromogenic Curmudgeson (tandem composé de Evergon et Jean-Jacques Ringuette) apparaissent dans le sillage. Eve R. Gonzales participe également avec ses photos de cimetière.
Quant aux diverses séries, elles sont toutes là aussi et nous permettent de revisiter les étapes importantes de cette carrière. Celles des Homo Baroque — Homo Rococo, du Cirque, de grands pans des Ramboys, les images créées à Boston sur épreuves Polaroid de grande dimension au cours de véritables fêtes entre amis et connaissances nouvelles, la série plus récente avec sa Ramba mama, alors qu’il la met en scène dans son grand âge, sa nudité et sa fragilité sereine ; rien ne semble avoir été oublié.

Ses clins d’œil aux maîtres anciens sont aussi présents, alors que Le Caravage et même Gustav Klimt sont sollicités et pris pour modèles. Alors apparaît clairement ce dont est fait cet élan esthétique. Il est évident qu’il cherche à inventer un ensemble de traits appelés à devenir référence d’une certaine sensibilité homosexuelle et homoérotique. Sa constitution d’une mythologie autour des Ramboys, à cet effet, est révélatrice. Comme l’est aussi tout le travail nécessité par la création des Polaroids de grande taille.
Pour réaliser ces œuvres, il lui faut aller à Boston, parcourir les friperies de toutes sortes à la recherche d’accessoires, convier connaissances et amis à devenir ses modèles, s’assurer de leur trouver logis et finir le tout par des fêtes et des repas dont il assume les frais. Car le désir est fête et il est plus que simplement homosexuel. Il transcende l’identité de genre. Certes, il construit des saynètes qui pourront devenir archétypales et sources de référence et d’identification pour ceux qui ne peuvent se reconnaître dans les représentations hétéronormatives. Mais il faut convenir qu’il en résulte une œuvre qui parle à tous. Et ce Evergon qui se met en scène dans des moments de joyeuse baise et se livre à une fellation est moins lubrique que purement glouton ! Affamé de vivre en celui qu’il a choisi d’être !
Il s’est rebaptisé Evergon parce que cela veut dire « toujours parti ». Il est vrai qu’il n’est jamais là où on l’attend, qu’il en vient toujours à excéder toute étiquette restrictive. Mais tous ses avatars n’ont pas cherché à le dérober aux autres, mais à le présenter dans la multitude de tout ce qui peut habiter un être humain. Bernard Lamarche, conservateur de cette présentation, remporte ainsi le pari de montrer tous ces états nombreux.
Ces théâtres de l’intime, pluriels, disent bien cela : que ce que l’on pense être réside en fait en une construction et qu’un être qui évolue ne peut le faire que dans le changement. Aussi, suit-on tout au long de cette exposition, un parcours singulier qui multiplie les frasques d’œuvres, qui entonne divers refrains de soi, tout en respectant le désir de produire et représenter à la fois un imaginaire de désirs homosexuels. Mais, en même temps, c’est bien plus que cela, c’est le désir en soi qui s’exprime. Celui d’un artiste bien affamé et pas encore (en fait jamais) repu !

Evergon: Théâtres de l’intime, Musée national des Beaux-Arts du Québec, jusqu’au 23 avril 2023