THÉÂTRE : Mythes passés et futurs

Adaptée de l’excellent roman de science-fiction de la Danoise Olga Ravn, la pièce Les employés, mise en scène par Cédric Delorme-Bouchard, n’avait été présentée qu’à quelques rares reprises (dont quatre fois seulement à Montréal il y a un an) jusqu’ici. En voici la version définitive dans une forme des plus originales.

Le créateur de lumières et metteur en scène Cédric Delorme-Bouchard a eu un coup de cœur pour le roman Les employés il y a quelques années puisqu’il touchait à des enjeux qui l’intéressent depuis longtemps. Appuyé par William Durbau à la dramaturgie, il a voulu créer un spectacle qui relaie les enjeux du livre : le transhumanisme, l’intelligence artificielle et les débats sociopolitiques que cela suppose, comme on l’a vu d’ailleurs récemment dans l’actualité.

 » Ce sont des matériaux hautement fascinants en plus de présenter une esthétique très intéressante, dit-il en entrevue. On n’a pas le choix d’inventer une manière de présenter, de raconter et de matérialiser sur scène un univers qui n’existe pas encore. »

L’art théâtral aborde peu à peu les récits de science-fiction, ce que le cinéma et la littérature ont fait depuis longtemps déjà. Il s’agit donc d’un champ forcément innovant à explorer sur scène.

 » C’est une série de grands défis. Comme spectateur, j’aime voir des œuvres qui me font dire que c’est une folie d’adapter un tel roman ou un autre. Je sais qu’il y a un travail d’inventivité qui doit être fait en partant de la littérature. Les employés, en ce sens, est un terrain de jeu incroyable. « 

Le récit parle de l’expédition d’un des nombreux vaisseaux spatiaux commerciaux qui fouillent le cosmos. Son équipage est composé d’humains et de robots aux prises avec une planète étrange et des objets tout aussi insolites. Le livre fait part d’une enquête qui, à parttir d’éléments disparates, tente de faire la lumière sur des événements qui ont déjà eu lieu.

Comme ce que rapporte Olga Ravn dans son livre, la pièce utilise des enregistrements. Donc, le texte n’est donc pas prononcé en direct sur scène par les nombreux personnages qui peuplent le vaisseau.

 » On utilise une trame sonore, vocale, musicale dans une approche plus cinématographique que théâtrale. Les voix nous racontent ce qui s’est passé dans cette histoire, un peu comme si c’était une boîte noire. Une salle de théâtre ressemble à une boîte noire, en fait. On invite les spectateurs et les spectatrices dans cet espace qui réactive, par les enregistrements numériques, les faisceaux lumineux et les hologrammes, les traces de qui a été. C’est comme une maison hantée qui se réveille. En scène, c’est un travail corporel avec des comédiens et des comédiennes , mais aussi des danseurs et des danseuses. Je ne vois pas d’autres moyens pour adapter ce roman au théâtre. Ce sont les ruines qui restent de cette aventure, donc, on doit maintenir ce rapport avec l’objet narratif. J’essaie de respecter la forme très particulière du travail d’Olga Ravn.  »

Texte, corps et images scéniques cohabitent ici en convergeant peu à peu pour créer une finale qui se rapproche d’un roman policier.  » Il y a une montée dramatique qui apparaît pour nous amener jusqu’au dénouement « , note-t-il.

La nef

Passant du futur à la mythologie, Cédric Delorme-Bouchard est un  » employé  » de théâtre multidisciplinaire et, donc, très occupé pendant toute l’année. En mai, il présentera, cette fois à l’Usine C, une nouvelle création, La nef, alliant théâtre, musique et danse et inspirée de la musique de piano de l’influent compositeur contemporain Olivier Messiaen. Avec ses amis de la compagnie BOP (ballet-opéra-pantomime), soit Alexis Raynault et Hubert Tanguay-Labrosse.

 » Pour moi, la science-fiction n’est jamais très loin de la mythologie. Qu’on se projette dans mille années-lumière dans l’avenir ou dans le passé, on retrouve les mêmes histoires de l’aventure humaine. Dans La nef, on plonge dans l’autre extrême quoiqu’il y ait un côté futuriste dans la manière dont je l’ai traité. « 

La nef

Sur scène: huit danseurs, quatre pianistes. Tout est joué en direct. Le plateau est circulaire et, au centre, un monolithe noir représente un centre de gravité d’où, rythmés par la musique, jaillissent rayons de lumière et images. Autre vaisseau, même chorégraphe, Danielle Lecourtois. Le mouvement est, depuis les débuts de Cédric Delorme-Bouchard, à la mise en scène, le complément naturel de son imaginaire visuel.

 » J’ai l’impression de travailler sur la même matière dans des formes radicalement différentes, note-t-il. Les questions de l’invisible et de la mort m’intéressent beaucoup, sans que cela soit de façon morbide. »

Eu égard à ces questions existentielles, pas étonnant, alors, de le retrouver avec des collègues en théâtre qui s’intéressent à des thématiques similaires. En cette fin de saison seulement, il aura aussi collaboré avec ses lumières, aux spectacles Animalinside (Jérémie Niel), Couper (Véronique Pascal) et Insoutenables longues étreintes (Philippe Cyr).

 » Ces projets demandent du temps et de l’investissement, même les plus petits. Ça exige de l’énergie, mais cela m’en donne autant. Ça me nourrit. « 


Les employés est présenté du 27 avril au 6 mai au Théâtre Prospero.

La nef est présenté du 12 au 17 mai à l’Usine C.