Cutlass Spring est présentée ce soir au Théâtre Prospero.

Cutlass Spring, le nouveau né de Dana Michel, sort de ses tripes comme Yellow Towel et Mercurial George auparavant, trois spectacles, en tout, qui se promènent sur la planète. L’artiste montréalaise continue d’étonner brillamment, et de détonner aussi face aux formes classiques et même contemporaines, avec sa façon bien à elle d’allier danse, théâtre et performance.
L’enfance. Dana Michel est toujours en scène cette fillette qui découvre le monde, ses objets à toucher et à faire résonner. Elle est cette enfant qui chantonne, qui danse. Dans Cutlass Spring, l’enfant, elle le porte aussi en elle. Assise en position de méditation, portant veste de bûcheron et culotte de vinyle, elle semble sur le point d’accoucher… D’un spectacle! Car, sur son tabouret roulant, elle se trouve devant une rangée de chaises de plastique blanc qu’elle renversera une à une en les tirant vers elle.
Le travail. Cette tâche éreintante accomplie renvoie aux efforts que l’artiste déploie dans tous ses spectacles. Elle s’efforce, s’échine, s’essouffle à chercher un sens et une utilité à ce qu’elle a sous la main, à ce que cache ses vêtements, ou son corps entier. Ce travail d’exploration tourne encore une fois autour d’objets, fourchette et récipient en stainless (d’où émane de la musique), téléphone, plaque chauffante, etc. Leur usage premier étant toujours sublimé par ce qu’en fait la performeuse.
La dualité. Une autre caractéristique de l’oeuvre de Dana Michel est d’ailleurs qu’elle déjoue constamment les expectatives du public en doublant, voire en multipliant, le sens de ce qu’elle est ou fait sur scène: enfant et mère, danse lascive ou hésitante, yeux fermés et concentrés ou grand ouverts et ébahis. On la croirait d’une douceur infinie dans ses tâtonnements et tentatives gestuelles, mais elle pose soudainement des gestes destructeurs en se servant de grands draps blancs. Elle fait exploser les richesses de toutes les ambiguïtés.
Le mouvement. Performance, théâtre, se répète-t-on en la voyant s’affairer ainsi. Serait-ce sa pièce la moins « dansée » au sens classique, voire contemporain du terme? Même si elle se met physiquement en danger à quelques reprises et qu’elle déambule parfois autour des spectateurs, Dana Michel utilise surtout le sol recouvert de plastique blanc pour ramper, gesticuler, rouler sur elle-même ou se faire avancer à l’aide d’une corde et de son rouli-roulant à quatre roues.
Encore là, il y a travail et jeu. L’esprit ludique et celui de l’effort. Cutlass Spring use d’un humour plus continu et de la présence accrue de son torse nu. L’artiste navigue à vue et au toucher dans un spectre large entre pudeur originelle et exhibitionnisme contrôlé. Son corps subit et assume l’espace scénique avec tout ce qu’il contient.
La démarche novatrice de Dana Michel réside en ce qu’elle retourne aux origines de ce que peut vouloir dire l’expression « arts vivants ». Sans volonté académique ou apparence de préjugés. Partant d’elle-même, de sa vie, de sa culture, elle extériorise une quête personnelle. Celle du corps dans l’espace, de l’esprit face aux objets, de la conscience eu égard à un éther qu’elle semble pressentir sans l’atteindre. C’est le voyage qui compte.
Dana Michel oeuvre avec le constat des limites, mais le désir de continuer à les dépasser. Tout l’inspire. Quelque part entre ses vêtements de cow-boy, ses culottes de boxeur, sa chaîne en or au cou rappelant les artistes hip hop, les dentelles qu’elle finit par déployer et des glaçons qui prennent l’apparence furtive de diamants.
Dana Michel est une pierre précieuse de l’art d’aujourd’hui.