LITTÉRATURE: Virtualité fallacieuse

Bienvenue dans la simili-vie de Simili. Un pays où les antihéros se croient sans tache. Une contrée où les fantasmes triomphent. Heureusement, Dominique Strévez La Salle fait la part des choses. Avec doigté et un certain humour noir. Le lecteur ne sera peut-être pas rassuré, au bout du conte, mais il comprendra une chose ou deux sur l’immoralité et l’indifférence qui nous guettent.

Publié chez XYZ, le deuxième roman de Dominique Strévez La Salle, Simili, est une tragédie moderne. Le dieu internet perd, un moment, le contrôle sur ces humains non fiables, ces humains qui transgressent les règles, ces humains ni tout noir ou blanc, finalement, un peu pathétiques. La colère et la vengeance divines s’abattront sur eux. Ils seront punis pour leur lâcheté, leur bêtise ou leur arrogance.

On pourrait décrire le personnage principal de Simili, Gabriel Mayrand, comme une sorte de gentil loser. Adolescent joufflu, il tombe amoureux de la plus belle fille du village, Michèle Lamirande, et la perd de vue à l’âge adulte. Après l’université, devenu enquêteur gouvernemental, il retrouve la trace de son grand amour et se sert des technologies pour l’épier et tout savoir sur elle. Or, conte de fée, il n’y aura point.

On a affaire, dans Simili, à de vrais faux héros. S’il a tout du preux chevalier au départ, Gabriel serait plutôt un obsédé irresponsable. Burt, le chauffeur de taxi, passe, lui, pour un héros, mais il provoque drame par-dessus tragédie. Jason est une brute qui, dans le fond, a manqué d’amour. Plus mystérieuse, Michèle possède un cœur bon, mais c’est une femme qui semble faire toujours les mauvais choix.

Il s’agit de personnages fragiles et bien dessinés. Des marionnettes, somme toute, parfois inconscientes de leurs actes, ballottées entre les mains du destin. L’auteur joue avec elles afin d’explorer des problématiques comme les préjugés sociaux et les limites morales, la virtualité et la réalité, le mensonges et la vérité. Les protagonistes ont cette fâcheuse capacité de se mentir à eux-mêmes d’abord et avant tout. Ils et elles pensent pouvoir déjouer ainsi tous les paris, réels ou virtuels.

Cette humanité tremblante ou arrogante, c’est selon, aime rire et s’amuser. Jouer, surtout. Belle et petite à la fois. Intelligente, mais naïve et paresseuse. Désemparée, bien souvent. Peu importe leur classe sociale, ces personnages grandissent tout croche. Les uns ont de belles idées qu’ils ne réaliseront jamais, les autres, convaincus d’avoir perdu à la loterie de la vie, se complairont dans une sorte de fatalisme inné.

« Céline aquarelliste, autodidacte. Intellectuelle de village. Elle racontait des histoires et imitait toutes les voix, ses cheveux glissant sur la page comme des brins de paille. Pétillante. Mais elle avait manqué de jus, en quelque part, perdu la rigueur ou même l’envie de devenir la meilleure version d’elle-même, la version la plus forte, une artiste. »

La langue utilisée varie selon l’évolution des personnages et des situations sans qu’on perde le fil. Habile, la construction du récit crée un suspense autour d’une histoire d’amour qu’on voudrait voir aboutir, mais qui, comme le reste, demeure du domaine du fantasme. On veut y croire, comme Gabriel, mais peut-on atteindre la vérité en simili-vie?

Simili est un roman sur le « sans foi ni loi » de notre époque. Son indolence et sa superficialité, aussi. Tout est permis, tout est possible dans l’univers virtuel. Quand tout un chacun vit et travaille comme si il/elle existait dans un jeu, il arrive que la conscience humaine dérape et la réalité éclate en pièces. Peut-on continuer longtemps de vivre en surréalité?

« Annie Leonard avait cité un intellectuel africain dont la formule avait troublé Gabriel au point où il s’en souvenait régulièrement: « Les enfants d’Afrique se font tuer pour vrai, pour que vos enfants puissent tuer des extraterrestres dans des jeux vidéos. » »

En pays de mirages et de confusion, les victimes seront réellement nombreuses, les coupables, virtuellement absents. À moins que ce ne soit le contraire…