LITTÉRATURE: Film de cape et d’épopée

Lecture de fin d’été amusante et captivante, Corsaire d’hiver démontre les qualités de conteur du romancier Jean-Marc Beausoleil. Il sait, notamment, faire passer l’improbable pour crédible, tout en mettant de l’avant des idées plutôt originales. Avec en prime, ici, un clone de Pierre Falardeau comme personnage secondaire.

Dans Corsaire d’hiver, le personnage principal, Raoul Dagenais, est une fine lame qui se laisse convaincre par un mystérieux et menaçant producteur russe, Anton Boukariov, de travailler comme chorégraphe de combats dans le tournage d’un film portant sur la vie de Pierre Lemoyne d’Iberville.

Iberville, véritable grand héros de notre passé colonial. « Mythe, concentré d’imaginaire, d’émotion, de raison et de sacré » qui pourrait devenir le symbole d’une « reconquête nationale » aux yeux du public québécois, selon le réalisateur Marc Bilodeau qui fait drôlement penser à feu Pierre Falardeau.

Témoin de ce tournage chaotique où les deux principaux acteurs, une starlette américaine ambitieuse et un Québécois pure laine bonasse, tombent « amoureux », Raoul Dagenais occupe le siège parfait pour relater cette épopée surprenante.

Comme souvent au cinéma, le tournage prend du retard et les dépenses extravagantes s’accumulent. Anton, grand manitou et escrimeur lui aussi, et Raoul en profitent pour distraire la galerie dans des duels qui deviennent quotidiens et où fleure le danger.

Jean-Marc Beausoleil prend prétexte de cette intrigue, pas toujours vraisemblable, mais savoureuse, pour nous relater les grands moments de la vie du chevalier pas sans reproches.

« En 1686, la dite Jeanne a bruyamment porté plainte contre Iberville. […] Selon Jeanne Geneviève, Iberville lui aurait promis le mariage avant de la placer dans la condition où elle se trouvait. Le statut de fille-mère n’ayant rien de séduisant, surtout à l’époque, la jeune femme succombait à la détresse. Quelqu’un devait veiller sur elle et sur « la conservation de son fruit ». L’affaire était sérieuse. Iberville était accusé de « crime de rapt et de séduction ». […] Prudent, Iberville s’est transformé en courant d’air. Profitant d’une expédition dans le Nord, il n’est rentré à Montréal qu’en octobre 1687. »

Pourfendeur des Anglais – le long métrage a pour titre de travail Le fléau des Anglais – ami des autochtones, guerrier rusé, coureur des bois tout autant que de jupons, le personnage d’Iberville possède, en effet, bien des qualités cinématographiques. Étonnamment, toutefois, le romancier évite toute allusion à la mémorable série de Radio-Canada qui mettait en vedette Albert Millaire jouant le rôle du « corsaire d’hiver » dans les années 60.

Qu’importe, le récit a bon vent et sait tenir le lecteur en haleine usant, entre autres, de dialogues enlevés. Corsaire d’hiver est bien documenté et se révèle un cours d’histoire québécoise, de littérature et de cinéma intéressant. Les références abondent au sujet des récits de pirates ainsi que de cape et d’épée. Quant au personnage de Pierre Falardeau, pardon Marc Bilodeau, il apporte une touche politique et amusante à l’ensemble.

Jean-Marc Beausoleil ne pêche pas par de grandes visées stylistiques. L’auteur préfère parfois la pirouette fantasque – « pas d’Internet pour inspirer une bonne branlette » ou « Viêt Cong du flocon » et l’image convenue – « attentive et mutine comme une esclave de sérail »- , mais il sait créer des personnages truculents et raconter des (H)histoires surprenantes. Comme lecture divertissante de saison, c’est plus qu’il n’en faut.

 » – Combien de fois faudra-t-il le dire? Nous sommes les francophones d’Amérique.

– La farniente nordique, c’est nous.

– À notre meilleur, nous sommes sociaux-démocrates, cosmopolites, écologiques, hydro-électriques.

À la fois insultés et agacés, nous avons choisi de défendre notre droit à l’existence de clownesque manière.

– Sempiternels bavards.

– Gaulois.

– Normands.

– Indiens.

Bilodeau cognais sur la table, je le relançais:

– Des coureurs des bois pantouflards.

– Des frileux audacieux.

– Des courageux timides.

– Des tutoyeurs indéfectibles.

– Un caillou dans le soulier de l’homogénéisation.

– Un hoquet dans la chaîne de montage.

Bilodeau a dû déposer son verre. Il n’en pouvait plus de rire. »

Jean-Marc Beausoleil

Corsaire d’hiver

Les Éditions Sémaphore

166 pages