
Le dira-t-on assez. Le théâtre a besoin de peu pour faire rire et pleurer. Un bon texte, des actrices.teurs allumé.e.s et dirigé.e.s par une mise en scène fine et attentive. De et avec Nathalie Doummar, Sissi s’avère déjà l’un des meilleurs spectacles de cette jeune saison.
Romy, dite Sissi – un peu comme Romy Schneider dans Sissi impératrice, le film, et aussi dans la vie même de l’actrice viennoise – connaît le tumulte et l’angoisse. Dans sa tête.
Nés au Québec de parents égyptiens, elle et Pete forment un couple en apparence parfait. Mais Sissi ne se sent pas bien. Déchirée entre ses deux cultures, elle idéalise la québécoise et se met à fantasmer sur des idées, pour le moins superficielles, de perfection.
Sissi pensera concrétiser son idéal en se liant d’amitié avec un couple de purs laines, Marilyne et Jérémie dit « Jay », qui ont aussi adopté un fils et dont la vie semble idéale. Elle emmêlera naïvement les fils de la réalité et du fantasme, ce qui bouleversera la vie des quatre amis.
Nathalie Doummar a écrit une comédie dramatique du temps présent. Subtilement, habilement, elle nous parle du couple bien entendu, mais aussi de parentalité, de sexualité, de différences culturelles, de l’amour 4.0, de rêves et de fantasmes. Sa pièce décrit la perte de repères de la génération actuelle qui est au diapason d’une illusion de possibilités infinies qui s’offrent à elle.

Sissi est brillante, mais naïve, totalement ouverte, mais tout aussi obsédée. Elle est à l’image d’une société qui se cherche entre le trop-plein d’informations et le vide existentiel.
Le récit est magnifiquement construit, nous faisant passer en 1h45 du rire fou au tourment que l’on partage avec le personnage principal. Les quatre personnages sont, en fait, d’une vraisemblance touchante. On se reconnaît avec l’un.e ou l’autre durant le déroulement de cette forme de tragicomédie au sujet de l’incontournable légèreté de l’être.
Brillante distribution
À la première médiatique, Nathalie Doummar – elle alternera l’interprétation avec Sylvie De Morais-Nogueira les autres soirs – portait avec justesse et courage la peau de cette Sissi troublée et troublante. Mustapha Aramis, Mathieu Quesnel et Elisabeth Sirois complètent la brillante distribution. On conviendra, toutefois, que leurs personnages sont moins bien définis que celui de Sissi et frôlent parfois la caricature, ce qui, néanmoins, ajoute aux effets comiques.
Elle-même actrice intense, Marie-Ève Milot sait diriger ses interprètes de façon à faire ressortir les forces et faiblesses de ces hommes et femmes dont l’angoisse et/ou la désinvolture n’empêcheront pas le drame de survenir. La vidéo et la musique permettent, par ailleurs, de placer des parenthèses qui font avancer le récit, tout en permettant aux spectateurs de réfléchir en marge du rythme très relevé du spectacle.
Sissi pose des questions pertinentes sur la conduite morale de l’humain contemporain, sur le gouffre entre nos pensées et nos actes que semblent combler rapidement les clichés et les fantasmes.
Malgré le rire soutenu dégagé par la pièce, nous ne pouvons passer sous silence la critique tout aussi présente dans le sous-texte à propos de la vitesse d’un monde qui nous échappe constamment. Comme si notre ouverture à vivre autrement le couple, la famille et l’amour nous déconnectait aussitôt des émotions des uns et des autres impliqués dans l’aventure.
Explorer, est-ce nécessairement déchirer, piétiner et isoler ?

Sissi est présentée à La Petite Licorne, en supplémentaires, jusqu’au 29 novembre.