ARTS VISUELS: Le temps et la mesure

Vue de l’exposition, Photo: Guy L’Heureux

Ce n’est pas la première fois qu’à la Maison des Arts de Laval, dans la salle Alfred-Pellan, on se livre à pareille excentricité. Cette fois, c’est sous la direction de la commissaire Ariane Plante que deux artistes unissent leurs forces dans le but de former sens autour d’œuvres fort différentes mais ici complémentaires. Ce qui compte met en relation les travaux de la cinématographe expérimentale Andrée-Anne Roussel et de l’artiste en nouveaux médias Samuel Saint-Aubin.

Leur objectif commun, au travers des pièces fort différentes, est de montrer combien tout, de nos jours, est soumis à une entreprise de mesure : de l’espace, du temps, des lieux qui nous entourent, des loisirs calibrés, ou non. Cela se fait par un certain sens de l’absurde, dans la mise en œuvre de travaux de comptabilisation d’effets sans réel poids ou importance. On le sait, toute image est aujourd’hui sous le coup d’un système binaire logico-mathématique qui fonde la réalité virtuelle de l’image numérique. C’est vrai pour l’image photo et ce l’est tout autant pour l’image filmique, de plus en plus. Il y a donc une certaine communauté fondamentale entre les images d’Andrée-Anne Roussel et les machines étranges de Samuel Saint-Aubin.

Dès notre entrée, on est accueillis par une projection de la cinématographe. Capacité d’attention montre une adolescente, dans sa chambre, en train de se regarder les doigts de la main. On a là, en une courte séquence toute l’expression du temps perdu, passé dans la rêverie, dans la fascination de ce qui nous pend sous le nez mais qu’on ne sait pas voir.

Cette bande à l’action minimale est scandée par un bruit étrange qui est celui, on le comprend bientôt, que fait un calorifère chauffé. Ces trépidations bien caractéristiques marquent le temps, comme le fait aussi le fait de changer de la lumière jaunâtre d’une lampe sur pied à celle du jour, tombant probablement depuis une fenêtre.

Vue de l’exposition, photo: Guy L’Heureux

En même temps, cet extrait filmique est un espace de temps circonscrit, défini; moment d’observation attentive. On verra pareille auscultation plus loin, dans une œuvre active de Samuel Saint-Aubin. Une pièce robotisée progresse lentement sur un carrelage. Sur le mur adjacent apparaît le relevé vaguement spectral, et projeté, de son action. Un senseur est en effet partie intégrante de cet engin mobile et permet de faire une topographie minutieuse des irrégularités de cet espace carrelé.

Les autres travaux de cet artiste sont sur le même mode. Il s’agit de pièces animées qui témoignent de mesure, de mouvement dont on ne perçoit pas qu’ils aient une fonction utilitariste ferme, affichée. Plus souvent qu’autrement, ils ne jaugent ni n’accomplissent rien de fondamental ou d’important. Deux bras mécaniques, par exemple, dressés à la vertical, rapprochent leur mains articulées avec lenteur, jusqu’à ce que l’espace qui les séparent se réduise à peu de chose.

Pareillement, un écran montre deux mains ouvertes qui cherchent à accoler leur paume l’un contre l’autre. Au bas, un compteur numérique évalue la diminution de la distance entre les deux. Auparavant, ç’avait plutôt été une pince montée sur un mécanisme qui va de l’un à l’autre de deux canevas. Sur l’un, des grains de riz ont été jetés pêle-mêle; sur l’autre, une sorte d’organisation de ces grains commence à émerger. La pince va de l’un à l’autre de ces plans de travail, pigeant un grain sur celui où ils sont dispersés, pour aller vers l’autre où elle cherche à faire dessin, écriture, ordre.

À toutes ces machines bien dosées, bien calibrées, vient s’opposer la dernière œuvre en espace un peu clos, un peu retiré,d’Andrée-Anne Roussel, {null}. On ne saurait mieux faire contraste avec la scène d’introduction, alors qu’un homme remplit un verre de l’eau d’une bouteille de plastique, jusqu’au débordement et s’essaie ensuite à remettre l’eau dans la bouteille à l’étroit goulot. Et remet cela…

Par la suite, ce sont des saynètes où l’on s’embrasse longuement, où on se fait tirer au tarot par téléphone, où on gosse sur une pièce de bois. Par la scène finale, on assiste à la lente tombée d’un arbre au sein d’une pinède aux troncs plutôt lisses.

Les œuvres existent ici fort bien les unes par les autres, les unes en contraste avec les autres. Elles forment un ensemble cohérent qui dit combien le temps, et tout finalement, est mesuré. Il est ironique que le cours de cette exposition ait été interrompu par l’irruption dans nos vies du coronavirus. Les mesures d’isolement et de mise en suspension de nos activités ont amené une trêve au cours de laquelle on aurait beaucoup gagné à pouvoir voir ces travaux.

Afin de prévenir la propagation de la COVID-19, la Ville de Laval a pris la décision de suspendre cette activité jusqu’au 12 avril 2020.