LITTÉRATURE: Notre amie Marie-Claire

L’exil bénéfique. Marie-Claire Blais a écrit l’essentiel de son oeuvre ailleurs. Loin de ses origines. Comme elle vit depuis longtemps aux États-Unis, ce pays l’a particulièrement inspiré dans l’écriture de sa série de 10 romans remarquables Soifs. Lise Gauvin l’y a rejointe afin de stimuler ses réflexions sur sa vie et son art. Les deux amies se sont vues également à Québec, Montréal, Paris et Cape Cod, Les lieux de Marie-Claire Blais.

Lise Gauvin abat ses cartes dès le préambule. Les lieux de Marie-Claire Blais est un « livre d’amitié ». Qui d’autre qu’une amie de longue date pour comprendre la grande romancière dans ce qu’elle est, comme écrivaine et comme femme. Qui d’autre pouvait poser des questions sans tourner autour du port et recevoir, par conséquence, autant de confidences de la part d’une amie qui la connaît depuis l’université?

Professeure et écrivaine, Lise Gauvin emprunte également aux stratégies journalistiques le prétexte des lieux pour mettre son amie à l’aise et pouvoir fouiller toujours plus profondément dans l’acte créatif de Marie-Claire Blais. Espacées dans le temps, une période de près de trois ans, les rencontres permettent également de revenir plus tard sur certains aspects entamés plus tôt dans le livre.

En voyant la romancière à divers endroits, Lise Gauvin utilise, en quelque sorte, la même démarche que son sujet, soit la distance géographique, pour en arriver à observer/analyser/parler des lieux et de toutes celles et ceux qui ont façonné l’écriture. Les lieux sont aussi reliés à des expériences et des amitiés plus personnelles, souvent avec des artistes, qui ont inspiré les personnages des romans. Et ce, depuis les tout débuts de Marie-Claire Blais.

« En général, dans la société de l’époque, l’écriture était perçue comme un acte égoïste, narcissique, tellement peu encouragée. Pauline Archange, c’est différent de ma situation, car c’est la description d’une famille ouvrière sans aspiration intellectuelle. Elle doit découvrir elle-même ce qu’elle est comme artiste, comme écrivaine. Dans ma famille, il y avait des aspirations artistiques. J’avais une tante pianiste et une autre peintre. Mais elles n’étaient pas encourageantes parce qu’elles avaient eu une vie difficile comme jeunes artistes, contraintes de lutter pour survivre. Elles ne m’encourageaient pas. Elles avaient tellement souffert. »

La plus grande part des entretiens qui composent ce livre se déroulent à Key West, tout près de la maison de Marie-Claire Blais. Mais la chronologie est respectée et les rencontres débutent à Québec où les deux écrivaines se sont connues. Le regard de Marie-Clair Blais, notamment, sur le Québec d’avant qu’elle a connu, est des plus perçant et intéressant. Encore la distance.

Chaque chapitre est précédé d’une mise en contexte de Lise Gauvin, suivie des échanges entre les deux amies, quoique amitié, ici, ne signifie pas complaisance. Lise Gauvin tutoie Marie-Clais Blais, évidemment, mais ses questions courtes et précises savent trouver le meilleur chemin vers les pensées et les sentiments de l’interviewée.

Sa connaissance étendue du sujet donnent aussi des questions-réflexions plus poussées, voire intimes, sans tomber dans l’indiscrétion, ce qui approfondit toujours plus loin notre « connexion » avec l’autrice d’Une saison dans la vie d’Emmanuel, prix Médicis 1966. Un livre que Jacques Hébert, contrairement à d’autres, avait accepté, tout comme les écrits de Nicole Brossard et de Michel Tremblay d’ailleurs, aux Éditions du Jour.

« Ils nous a vus arriver et il nous a tous acceptés tels que nous étions. J’avais eu des problèmes avec Une saison dans la vie d’Emmanuel, dont le manuscrit avait été refusé cinq fois. Pour des raisons morales. Mais Jacques était très content de le prendre. Il a transformé notre société en une société éblouissante pour les écrivains. Il a été le père de la littérature québécoise. »

On apprend que les lectures de la grande écrivaine vont des classiques français aux romanciers américains contemporains. On conçoit aussi que le grand humanisme qui se dégage de Soifs provient de très loin dans la vie de la romancière, notamment de son désir de combattre pour les femmes, les démunis, les exclus.

Marie-Claire Blais est cette artiste qui a toujours essayé de comprendre les autres, même ceux et celles qui ne partagent pas ses idées, et encore, parmi les pires d’entre nous.

« – On ne devient pas ces personnages, mais l’important pour moi, dans la description de Mengele et de Herta, c’était de les replacer dans le royaume humain. Ce sont des êtres qui sont considérés comme des monstres, c’est très rare que l’on s’intéresse à ce qui s’est passé à la fin de leur vie. Il y a une attitude anecdotique qui fait qu’ils restent des monuments de cruauté à l’infini. Malheureusement, nous appartenons à la même race que ces gens-là. C’est cela, notre histoire. Ce n’est pas détaché de nous comme un puzzle

– Tu essaies de les comprendre?

– J’essaie de décrire quelque chose qui pourrait nous arriver encore, qui nous arrive encore. Le racisme, la cruauté. Cela fait partie de notre siècle, le nouveau. »

La grande ouverture et la tolérance de Marie-Claire Blais sont les mêmes valeurs défendues par plusieurs personnages de ses plus récents livres. C’est l’un des principaux sujets du livre et Lise Gauvin réussit ainsi à nous faire entrer dans l’intimité de cette amitié qu’elles vivent depuis les années 50.

Comme lecteurs, nous devenons des voisins de table qui ne peuvent s’empêcher d’écouter cette conversation passionnante du couple d’à côté. On a souvent l’impression d’apercevoir Marie-Claire Blais en train d’écrire, de réfléchir à son écriture, de partager ses envies et ses idées. Le livre est, en effet, un magnifique cadeau d’amitié.

« Les amitiés très fidèles sont rares, mais il y en a qui durent toute la vie, malgré la séparation, l’éloignement, les différences de caractère. Une amitié comme la nôtre, qui existe depuis notre jeunesse, est un lien exceptionnel, et cela, malgré la distance. Ce lien est d’autant plus fort qu’il repose sur l’écriture. »

Ce livre fascinant est complété par des annexes incluant une partie de l’adaptation théâtrale que Marie-Claire Blais a elle-même tirée de Soifs, suivie d’extraits de la version du metteur en scène Denis Marleau, en plus de lettres de Réjean Ducharme à l’autrice.

Il y a bien quelques questions et réponses qui se répètent dans le livre et, pour faciliter les recherches au sujet de Marie-Claire Blais, il nous semble qu’un index, avec les pages se référant à ses œuvres mentionnées dans les entretiens, aurait été apprécié.

Hormis ces petits bémols, c’est avec doigté, générosité et esprit curieux, que Lise Gauvin nous accorde le privilège de mieux connaître son amie et, plus important sans doute, nous donne la grande envie de lire et de relire Marie-Claire Blais, de savoir ses yeux grands ouverts sur le monde et de sentir sa tendresse infinie.

« En écrivant, on participe à cette douleur de l’humanité et à une réflexion qui se fait dans la douleur mais aussi dans la joie. L’observateur qu’est l’écrivain est facilement troublé, à cause de son coeur, de son âme. L’observation et l’écriture sont pour lui des actes militants. »

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Marie-Claire Blais

Lise Gauvin

Les lieux de Marie-Claire Blais. Entretiens.

Nota Bene

204 pages