VOIX DE POÈTES: Jean-Marc Desgent

Cette semaine, l’un des grands poètes québécois contemporains, Jean-Marc Desgent, a accepté notre invitation à faire la lecture de l’un de ses textes.

Jean-Marc Desgent marque une pause. Ce n’est pas qu’il ressente un blocage particulier pour écrire ou que la pandémie de la COVID-19 le terrorise. En fait, le poète se reposera dans les prochaines semaines après avoir écrit « trois livres » en confinement, des textes commencés avant, dont certaines parties se sont retrouvées sur Twitter.

« J’ai travaillé comme un fou au début. Deux livres sont acceptés, le troisième est en attente. J’avais beaucoup de notes accumulées. En confinement, on peut travailler 10 heures par jour et sept jours par semaine durant un mois sans s’en rendre compte. Pour mes amis peintres, le confinement, ce n’est rien de nouveau, alors j’ai travaillé comme eux. Le problème c’est que, maintenant, je n’ai plus rien à faire. »

Les fans de poésie qui le suivent sur Twitter auront lu quelques-uns de ces vers. Mais pas tous. Quand il écrit, Jean-Marc Desgent devient volcan. Les éclats sortent différemment selon les jours et prendre plusieurs formes au fil du temps et des réécritures. Le confinement a ressemblé à une résidence d’écriture pour lui. Mais pas question d’écrire à ce sujet.

« Quand les tours du World Trade Center sont tombées en 2001, on m’a invité plusieurs fois à écrire à ce sujet, mais j’ai tout refusé. Qu’est-ce que j’ai, en tant qu’écrivain, à dire dans ma langue à propos de ça. Trois jours après l’événement, c’est impossible. Je n’écris pas des poèmes de circonstances. Je les écris pour les écrire. »

Après Misère et dialogue des bêtes, l’humain sera davantage au centre des préoccupations du poète qui a remporté plusieurs prix en carrière – Trois-Rivières, Rina-Lasnier, Félix-Antoine-Savard, Jaime-Sabinès et Antonio-Viccaro (Paris) notamment – tout en enseignant pendant 35 ans. Son prochain recueil est entre les mains de ses éditeurs chez Poètes de brousse et s’intitulera Nous sommes plusieurs enfants.

« Je continue le mouvement de Misère et dialogue des bêtes, mais en étant beaucoup plus sur l’être humain. Plein d’enfants apparaissent tout au long du recueil. En même temps, intérieurement, nous sommes aussi plusieurs enfants différents. Ce ne sont plus les bêtes qui sont victimes de l’homme, mais ses propres enfants dans ce recueil. »

Poète de la rupture, d’une langue qui peut passer du vieux français au franglais, d’un flot de pensée à une expression saugrenue pour reprendre dix pages plus loin l’idée du début, Jean-Marc Desgent croit en la gestuelle du poète.

« J’ai toujours vu la littérature et la poésie un peu comme les peintres face à leur travail. Je considère que j’écris parfois de bons tableaux où la gestualité et le rythme sont bons. Il y a quelque chose de vivant, de presque biologique dans l’écriture. La langue que j’utilise est en mouvement. Aucune langue ne meurt. Tous les français qu’on utilise depuis le 13e siècle continuent à vivre. Quand j’écris, je fouille dans les sept siècles d’existence de la langue française. »

En chantier

Chaque nouveau livre est une expérience nouvelle peu importe les prix ou les honneurs, souligne-t-il. Un nouveau chantier qu’il prend plaisir à partager avec Kim Doré et Jean-François Poupart de Poètes de brousse.

« Je suis très obéissant. J’ai une idée d’auteur, eux d’éditeurs, et je vois toujours où ils veulent en venir. La rencontre entre les deux est importante, complémentaire. Ça crée un très bon dynamisme. L’éditeur ne sert pas juste à imprimer un livre. C’est quelqu’un qui a une vision de la littérature. L’éditeur t’aide à trouver ta voix. »

Et maintenant qu’il a beaucoup écrit. Qu’il est dans l’attente de suggestions et de corrections, il reprendra le chemin de la lecture.

« J’espère recommencer à lire parce que pendant que j’écrivais, je n’en avais pas envie. J’avais de la difficulté à me pencher sur les gros livres dont je pensais avoir besoin pour passer à travers le confinement: Volodine, Knausgård, etc. Je ne crois pas en avoir lu plus de 50 pages, mais je ne désespère pas de moi-même », fait-il en éclatant de rire.