LITTÉRATURE: Un western écologiste pour la suite des choses

Avec Les Crépuscules de la Yellowstone, publié aux éditions Boréal, le romancier québécois Louis Hamelin livre un western écologiste aux accents épiques et mélancoliques. Un roman où s’inscrivent naturellement nos dérives contemporaines. Entrevue.

Saviez-vous que l’auteur, scénariste, enseignant et chroniqueur littéraire Louis Hamelin était aussi bachelier en biologie de l’environnement de l’Université McGill? Le romancier en devenir opterait plus tard pour des études littéraires à l’UQAM et décrocherait sa maîtrise un an après avoir reçu le Prix du Gouverneur général pour son premier roman, La rage (1989).

Dans Les Crépuscules de la Yellowstone, Louis Hamelin remonte aux sources et nous entraîne à bord de l’immense bateau à vapeur de l’expédition, sur les traces du peintre et naturaliste John James Audubon, considéré comme le premier ornithologue nord-américain – une icône chez nos voisins du sud.

« Je suis resté un scientifique dans l’âme et si j’ai dérivé, la passion pour l’environnement ne m’a jamais quitté », commence Louis Hamelin, joint par téléphone chez lui, à Sherbrooke.

Piqué d’ornithologie depuis toujours, l’écrivain peut identifier une centaine d’oiseaux, à leurs chants. Il connait donc évidemment l’œuvre et la renommée d’Audubon, dont l’incontournable Les Oiseaux d’Amérique et ses magnifiques planches, peintes à l’aquarelle et représentées grandeur nature.

Parti pour étayer une réflexion sur la complexification des relations entre l’humanité et la nature depuis les deux cents dernières années, Louis Hamelin décide d’opter pour la rédaction d’un roman western écologiste. Il se concentrera sur la dernière expédition scientifique d’Audubon – celle que l’artiste naturaliste a consacré à la collecte de spécimens de quadrupèdes vivipares d’Amérique du Nord, dans le Haut-Missouri, en 1843.

La conquête de l’ouest, en français

« Je suis arrivé au personnage d’Audubon par celui d’Étienne Provost; ce traiteur de fourrures natif de Chambly a quitté Montréal à l’âge de 20 ans en bateau pour devenir le coureur des bois le plus réputé, celui qui connaissait le mieux les Rocheuses », reprend Louis Hamelin, fasciné par la présence francophone dans cette région.

La Louisiane, encore française, désigne alors un immense territoire à l’ouest du Missouri, les traiteurs de fourrures sont des canayens français et un français mâtiné de créole est la langue la plus répandue. Étienne Provost accepte d’être le guide d’Audubon et de son imposante expédition pendant quatre mois. « Plusieurs indices laissent deviner chez Audubon un côté donneur de leçons un peu maniéré que j’ai eu beaucoup de plaisir à intégrer dans mes dialogues », s’amuse le romancier.

En 1848, la ruée vers l’or commence en Californie. Quelques années plus tard, on découvre d’immenses gisements d’or sur le territoire des Sioux, ce qui entraîne l’arrivée de l’armée, puis la résistance des grands chefs Sitting Bull et Crazy Horse. Cela déclenchera les guerres de conquêtes et d’extermination, et finalement, l’invasion des pionniers.

« Quand Audubon arrive dans l’Ouest, ce que j’appelle le capitalisme prédateur a déjà cours; le naturaliste va y prendre part et il va même y participer activement, s’anime Louis Hamelin, passionné par son sujet. Le déclin de la présence francophone, le génocide des populations indiennes, ce sont aussi ces crépuscules que j’ai voulu mettre en scène», enchérit le romancier.

Inscrire l’intrigue dans le XXIe siècle

« Certains lecteurs apprendront peut-être par ce livre qu’avant la création de la Société nationale de la conservation de l’environnement Audubon – l’organisation environnementale américaine sans but lucratif qui a pour but la conservation de l’environnement – John James Audubon travaillait avec des groupes de chasseurs émérites qui abattaient pour lui par centaines les spécimens convoités », poursuit Louis Hamelin. Il souligne la profusion, la qualité et la précision des témoignages des documents laissés par le naturaliste. « Ses journaux personnels rapportent tout dans ses moindres détails. »

Par moments, le naturaliste américain semble sensible à la cause amérindienne – il apprécie la liberté dont jouissent généralement les femmes, par exemple. Cependant, « Audubon demeure un homme du XIXe siècle et j’ai voulu montrer son indifférence quand il profane une sépulture sauvage, comme il les appelle », indique celui qui a aussi été responsable des relations avec les nations autochtones pour le groupe Action boréale.

Comment le romancier se positionne-t-il par rapport à l’ambivalence d’Audubon? Louis Hamelin répond, philosophe : « Pour un auteur, il est toujours difficile de juger son personnage ».

« J’ai entamé ce roman à l’âge où Audubon a commencé sa dernière expédition; j’ai voulu comparer comment la temporalité allait s’inscrire différemment dans nos corps en m’immisçant dans le récit ». Louis Hamelin n’est pas Audubon et il est loin de partager ses visions. Mais le symbole de l’énorme bateau scientifique qui remonte le fleuve en tuant tout sur son passage demeure une excellente parabole de nos dérives contemporaines.

« De nos jours, on ne détruit plus à coups de fusil, mais à coup d’habitats. Pensons à l’Amazonie ou, plus près de chez nous, aux terres humides que nombre de développeurs convoitent avidement » lance-t-il.

Il y a deux siècles, les parcs nationaux n’existaient pas encore et Louis Hamelin de conclure : « J’ai deux enfants, de neuf et six ans et je maintiens que se reproduire oblige à l’optimisme ».

Les crépuscules de la Yellowstone amorce d’ailleurs une fresque écologique qui aura une suite s’articulant autour du cheminement du célèbre Henry Thoreau, que les lecteurs redécouvrent depuis quelques années, et aussi de l’excentrique et controversé Archibald Belaney, alias Grey Owl.

Louis Hamelin

Les crépuscules du Yellowstone

Boréal

376 pages