
Voici un autre petit livre qu’on peut aisément glisser dans les bagages. Ces 31 courts récits de Gilles Archambault, toujours chez Boréal, sont autant de moments intimes où l’écrivain se livre, comme toujours, avec ce Sourire en coin, avec autodérision et à voix basse pour n’offusquer personne. Et même si l’auteur se cache parfois un peu, son écriture, elle, ne triche pas.
Gilles Archambault n’écrira plus de roman. C’est lui-même qui le dit dans la nouvelle intitulée Place nette, un titre significatif au sein d’un recueil qui souhaite faire table rase… ou presque! Cet ensemble de récits est un livre d’aveux. Qu’il soit voyageur distrait ou fugueur immobile, l’auteur expose ses nombreux paradoxes, ses espoirs déçus, ses souvenirs émus.
Les titres renvoient à la fois aux qualificatifs décrivant l’auteur depuis toujours et à des moments pertinents de sa vie. Des mots fourre-tout où il se reconnaît, mais qu’il tente tout autant de déboulonner. La manière Archambault si l’on peut dire. Afin de maintenir notre œil alerte, de nous tenir à l’écoute d’un imaginaire plus fort que lui, mais qu’il tient également en laisse plus que jamais.
Et puis peine perdue! Après tout, il avoue ignorer quel homme il a réellement été. Dans ces interstices d’incertitude et de vulnérabilité, l’auteur garde l’œil pétillant, ce qui nous le rend sympathique.
Le livre commence sur une rencontre improbable un jour de pluie à Saint-Malo. Fiction et réalité. Il ne les départage qu’à la fin du récit où il nous annonce que la jeune femme rencontrée/imaginée ?, Kim, ne ferait pas un bon personnage de roman. Sourire en coin et autodérision si l’on veut. Mais ce serait négliger l’immense tendresse et le regard compatissant qui l’habitent depuis qu’il a publié son premier livre en 1963.
Chemin, et récits, faisant, il nous explique pourquoi il écrit. « Autant bien me demander pourquoi je marche et pourquoi je dors », souligne-t-il. Et Gilles Archambault d’ajouter qu’il dort tranquille puisqu’il n’a jamais connu la gloire. Il en serait gêné de toute façon puisque c’est son inaptitude à vivre qui le pousserait à écrire finalement.
Confessions doucement amenées, voire impudeurs assez pudiques si telle chose existe, tels sont les dires de quelqu’un pour qui la « suprême discrétion » reste l’une des plus belles qualités humaines. « On s’est parfois servi de ce titre pour signaler que j’étais peu porté vers l’esbroufe. Ce qui, au reste, n’était pas complètement faux ».
Humble, Gilles Archambault ? Il répondrait tout de suite que non puisqu’il publie des livres, 43 pour être exact.
Rusé, ça oui! Un fin renard qui réussit toujours à nous échapper. Et c’est précisément à cet endroit que se situe le plaisir de le lire. Quand on le croit coincé pour de bon dans une idée qu’on se fait de l’homme, l’écrivain le fait disparaître. Avec intelligence, élégance, sans effets de toge.
L’écrivain aime l’idée qu’il « ennuie raisonnablement » ses amis; qu’il n’a jamais été menacé d’un grand honneur de quelque Ordre que ce soit; qu’il continuera d’écrire pour ne pas attendre la mort les bras croisés; qu’il a l’impression en s’en approchant qu’il n’y a « rien de vrai »; qu’il est un simple « faiseur de livres« , un peu comme le cinéaste Jean-Claude Labrecque disait qu’il était « chauffeur de kodak »
« J’arrive tant bien que mal à la fin de mon périple. Je ne peux plus en modifier le parcours. Je suis figé dans ma pose d’ancêtre. Tout est dit. Acceptez que j’aie un sourire en regardant cette photo [des miens]. Un sourire gêné. Un peu moins assuré malgré tout que celui qui me vient aux lèvres quand je pense à mon parcours de faiseur de livres. »
Chez lui, la tentation de la fiction reste présente. Le livre se termine sur une touchante scène où, le bord de mer aidant, l’auteur imagine la suite de l’histoire du début. Le protagoniste par excellence de Gilles Archambault est, comme toujours, hésitant, incertain, voire interdit. Il se confond parfaitement dans l’homme plutôt complexe qui avoue être accro à l’écriture, et ce, même s’il conçoit que la vie est absurde.
Il se décrit lui-même souvent comme étant ridicule quoique nous nous y reconnaissons souvent. Incapable, soumet-il, ému, glisse-t-il, l’écrivain admet que la douceur de la présence des autres, des siens particulièrement, est le plus enviable des cocons à la fin de sa vaillante vie.
Les écrits de cet honnête travailleur de l’écriture, aussi « égoiste » qu’il puisse se voir, sont porteurs de paix. Ouvrez ce livre à n’importe quelle page et vous sentirez les bienfaits de sages paroles qui ne se prennent jamais au sérieux.
Le recueil fourmille de petits trésors qui nous suggèrent, nombre auteurs inspirants – Perros, Wilde, Grandbois, Stendhal, Balzac, Buzzati, etc – dans une langue simple,belle et une volonté profonde de ne pas « heurter les autres ». C’est l’oeuvre d’un fin ciseleur de la langue, d’un artiste courtois et délicat.
Il n’y a pas de petit livre. Gilles Archambault, à l’image de l’un de ses auteurs préférés, Henri Calet, est un écrivain unique.
Gilles Archambault
Sourire en coin ou les ruses de l’autodérision
Boréal
128 pages