LITTÉRATURE: La vérité sort de la bouche de la petite enfance

Décemment, on s’est retenu de trop rire durant la crise actuelle. Ce parfait roman pour la rentrée nous permet enfin d’éructer de gros morceaux de hahaha! salutaires. Le quatrième livre de Pierre Terzian, Ça fait longtemps qu’on s’est jamais connu (Quidam éditeur) raconte la découverte du Québec à travers le regard que porte un Français, pas maudit du tout, sur les plus vulnérables.

Cette rentrée n’est pas facile pour les enfants. Encore pire, peut-être, comme le démontre la pandémie, pour leurs enseignant.es ou leurs éducateur.trices trop souvent négligés dans le passé.

Avec Ça fait longtemps qu’on s’est jamais connu, Pierre Terzian revient sur son premier job québécois: remplaçant d’éducateur en garderie. On est en janvier 2017 et l’apprenti écrivain français, désormais marié à une Québécoise, n’a pas d’expérience particulière avec les enfants. Un choc culturel explosif lui tend les bras.

Sans expérience, mais sans casier judiciaire tout de même, après deux heures de formation: hop! Bienvenue dans la jungle des garderies québécoises.

Cette autofiction drôlatique nous permet de comprendre un peu mieux ce qui se brasse en petite enfance. Comme il s’agit, en outre, d’une première expérience d’emploi ici, Pierre Terzian possède un regard tout à fait neuf sur le marché du travail, l’hiver québécois, manque de ressources en garderie, la bureaucratie québécoise et le contexte d’austérité dans lequel le Québec surnageait encore.

« La routine, bro. Ça commence à me ronger. Modifié, l’écrivain. Où sont passées les errances? Les aurores imprévues? Pris cinq kilos à cause du sucre. Du sel. Du bacon. Des portions de porc. Des légumes de porc. Je travaille non stop, Monsieur Couillard. Je dépends du soleil. Comme une tulipe. Un mouton. Trop crevé le soir pour faire autre chose que mater le match NBA. »

Pierre Terzian écrit en toute connaissance et conscience de cause. Il utilise un parfait mélange de français made in France et de langue d’ici à la farlouche qui, pour une fois, ne nous fait point honte. Cet écrivain a les oreilles et le cœur à la bonne place.

Évidemment, le plus important ce sont les enfants. Leurs fins mots, dont l’un devient le titre du bouquin, leurs angoisses et amours, leur innocence et leur sagesse, leur colère et leur violence aussi parfois. Tout ceci en dit encore très long sur la société dans laquelle nous vivons, ce qu’un nouvel arrivant, un Français qui déteste de plus en plus les Français, nous fait comprendre en toute sagacité.

« Dehors, c’est beau. C’est fort. C’est le Québec, my love. Air pur dévastateur. Camaraderie sous l’obédience des arbres. Quoiqu’il arrive, c’est positif. C’est une règle d’or des garderies québécoises. Un enfant peut se casser la jambe ou se faire chier dessus par une mouette, ça reste ultra positif, de jouer dehors. Mais que faire? Les enfants sont devenus fous. Tout est mélangé, ingouvernable. Squeezés, fatigués, affamés dans le vestiaire. J’en ai trois d’un coup qui font le bacon par terre. Diantre. J’en sors absolument détruit. »

L’auteur maintient tout au long du récit ce regard mi-amusé, mi-ébahi qui nous gardent en alerte. Ses remplacements en garderie partout à Montréal nous font découvrir des quartiers et leurs habitants, des éducateurs et éducatrices bienveillants quoique parfois bizarres et des méthodes de travail allant de l’alternatif au régime presque militaire.

La situation des enfants de la diversité montréalaise est également bien servie par le regard tendre de l’écrivain, sa patience infinie, son humanité à fleur de peau dans un milieu de travail où le burnout est omniprésent.

C’est bien pour ça qu’il a tant de boulot le Terzian. Il passera d’ailleurs cinq jours à travailler avec un seul garçon, qualifié de « habité », en remplacement d’un éducateur spécialisé. Et non, point de drame à l’horizon. L’adulte et l’enfant se comprennent entre « zombies ».

Le plus beau dans cette histoire c’est que le dernier mot appartient aux enfants, dont l’un surnomme, affectueusement, l’auteur de M. Caca. Pierre Terzian, en nouvel arrivant nouvel éducateur qui a tout à apprendre, se met complètement à leur écoute, à la hauteur de leurs besoins et de leur imagination inébranlable.

C’est tout un microcosme de notre société qu’il met en scène avec respect et dignité. Dans ce portrait juste, sensible et documenté, on peut peut-être penser, après tout, que ça va bien aller.

« Chris et Lola font toujours la même chose. Ils s’allongent sous la table et restent de longues minutes sur le flanc. Comme ralentis par une chaleur extrême. Ils poussent de petits cris et relèvent parfois la tête pour observer l’horizon. Ils se caressent front contre front, se lèchent les mains, avant de regarder à nouveau dans la même direction.

Plus tard, je leur demande: « À quoi vous jouez? Ils me répondent, d’une seule voix : « Aux bébés tigres »

Bien sûr. Suis-je bête? »


Pierre Terzian

Ça fait longtemps qu’on s’est jamais connu

Quidam éditeur

240 pages