
Voilà une exposition de Geneviève Cadieux qui devait ouvrir le 13 mars 2020! Mais on sait ce qui arriva et même la foi inébranlable de l’artiste en la suite des choses n’a pu renverser une tendance dont on ne savait rien à l’époque. Il a donc fallu attendre et attendre! Mais on ne perdait rien à ce délai qui ne nous a servi qu’à amplifier, peut-être, nos attentes.
Maintenant, enfin, depuis le 21 août et jusqu’au 20 décembre, on peut voir le résultat de la mise ensemble de corpus différents qui permettent d’évaluer sur une plus longue période la travail de Geneviève Cadieux. Une gracieuseté de Isabelle de Mévius qui assume la direction de cet événement.
Les images les plus attendues, même si on en a eu un avant-goût en 2018 à la Galerie René Blouin, sont celles d’un corpus qui portait alors le titre de Ghost Range. À celui-ci s’ajoute une plus récente composition, des images de 2016, dans la même veine investiguant le paysage. D’autres travaux, plus anciens, viennent mettre leur grain de sel dans ce composé : le diptyque Rubis de 199 et Ma mère, de 1991, dont nous est offert une nouvelle impression.
Il devient clair, dès lors, que le pari, tel qu’il est relevé et parachevé par la publication éditée pour l’occasion, est de montrer la cohérence d’une œuvre qui s’est amorcé dans la grande échelle d’images de la figure humaine et qui se prolonge maintenant dans les méandres du paysage.
Paysage…
Remarquez, dans les deux cas, il y a la même simplicité apparente des moyens et des sujets. Apparente, parce qu’il faut s’y attarder et savoir voir. Cet arbre dans le désert du Nouveau Mexique est inattendu, tout de même. Il se dresse dans un environnement désertique qui devrait offrir peu à sa subsistance. Il semble d’ailleurs pétrifié, comme étonné de se trouver là et d’encore pouvoir se montrer. L’artiste en expose trois versions, toutes intitulées Arbre seul. Il n’y a que l’ajout entre parenthèses qui diffère : (la nuit), (le jour), (à l’aube).

Mais ces images ont été traitées, retouchées. La version nuit est une vraie nuit de l’image. Photo en noir et blanc, ses teintes ont été renversées : le sombre devenu clair et le lumineux devenu opaque. Un même renversement affecte la version à l’aurore. Mais les images sont, cette fois, en couleurs. Seule la version jour semble intacte. Sauf qu’à y regarder de près, on note des chatoiements dorés. C’est que le sol de ce désert a été rehaussé à la feuille d’or.
Une même opération est sensible dans Firmament alors que des étoiles en or marquent une sorte d’impression sans photo, ciel noir d’un ciel et d’un sans-image devenu image. Intrigué, on observe mieux les autres épreuves. Il apparaît bientôt qu’un même traitement, au palladium, marbre de stries grisâtres le tronc de la version en noir et blanc.

Ces appliques, on les retrouve dans d’autres images aussi, qui sont au sous-sol. Dark River, par exemple, fait usage des deux. Ce n’est pas chose nouvelle que de faire ainsi de la surface de l’image le réceptacle d’actes picturaux. Un mouvement, né au cours des années 1880, aux États-Unis, dit « pictorialisme », connaît son apogée avec le groupe Photo-Secession et la revue Camera Work, début 1900. Ses adeptes adoptent des procédés à la gomme bichromatée, à l’huile et au charbon. En même temps, il est usité, à une certaine période, dans un cadre très photographique, de recourir au palladium et au platine en lieu et place des sels d’argent.
La référence est intéressante car elle permet d’envisager la photographie en relation avec la peinture. Mais selon des paramètres tout-à-fait inédits! Les impressions au jet d’encre des images d’aujourd’hui, ne sont pas uniquement destinées à accueillir des photographies.
…figure humaine
C’est dans ce contexte que la pratique de Geneviève Cadieux se déploie et se développe. Chez elle, l’image a toujours été surface obstruante et réceptrice. Si elle formait une toile recevant l’image, elle était aussi l’hôte d’autres surfaces évocatrices et vivantes : la peau, le visage, le corps. Une surface contre une autre! Créant double paroi. En celles-ci, des traces apparaissaient, montrant la présence d’ouvertures offrant émotions contenues (ou pas) : cicatrices, bouches ouvertes sur un cri, yeux fermés, sillons, grain de la peau.

Cela explique ici la présence d’images anciennes, comme Rubis et Ma mère. Dans la première, le dos nu de la mère est jumelé à une image de cellules sanguines démesurément agrandies; dans la seconde, cette fenêtre que sont les yeux, apparaissent paradoxalement ouverts et fermés à la fois, grâce à une superposition.
La surface de l’image, cette fenêtre sur le monde, que l’on promène sur celui-ci et par laquelle on observe et sélectionne, est une surface réceptrice. Elle est aussi, chez Geneviève Cadieux, écran d’affects. Tout cela est modélisé dans un effort de symbolisation. Le soin apporté à la pose, aux gestes, aux expressions, dans une direction de jeu, en témoigne.

La même chose peut être dite de ces paysages que l’on rehausse, dont on remplit des portions, dont on revampe les détails. Cela marque que ce qui est ici saisi est aussi travaillé, tel le ferait un orfèvre. L’œuvre est là, reçoit et relance, s’érige en figure symbolique dont on pourrait dire qu’elle est effet d’art et de réflexion. D’art parce que de réflexion!
Ou est-ce le contraire?

Geneviève Cadieux, 1700 La Poste, du 21 août au 20 décembre 2020