LITTÉRATURE: La vraie nature de Louise Desjardins

La lutte des femmes ne s’arrêtera pas et il n’y aura pas de retour en arrière n’en déplaise aux dinosaures. Le beau roman La fille de la famille de Louise Desjardins, publié par Boréal, nous rappelle le chemin parcouru par la moitié de l’humanité en démontrant, avec l’exemple d’une vie, le caractère irréversible du plus important mouvement social des cent dernières années.

La poète et romancière Louise Desjardins n’a jamais fait d’esclandres ni causé de controverse. Depuis 40 ans, elle tisse avec La minutie de l’araignée (recueil de poèmes paru en 1987) une toile solide – clin d’œil de notre part à Louise Bourgeois – supportant une démarche nuancée et résiliente.

La fille de la famille vient souligner cette oeuvre féministe de belle façon. Dans ce roman plus personnel, l’autrice décrit une vie de famille où elle a dû faire son chemin toute seule. Savamment, patiemment, mais résolument. C’est l’histoire d’une femme à qui on dit « non » dès le départ, mais qui a su ignorer et contourner les dogmes, les règles, les préjugés.

« Mes trois frères, comme d’habitude, ont marché d’un côté de la rue et moi, de l’autre. Ils ne veulent pas être vus avec une fille. Une femmelette, comme ils disent. »

Le ton est donné dès le début et se maintiendra ainsi jusqu’à la fin. Louise Desjardins constate. Elle ne cherche pas à s’apitoyer sur son sort ni à pointer du doigt. Au contraire, sa trajectoire constamment entravée, maintenue malgré tout, représente une grande victoire puisqu’elle a survécu, comme elle l’écrit si bien. Les temps ont changé.

Les chapitres sont courts, usant d’une écriture claire, précise, sans fioritures. La romancière entremêle deux types de souvenirs, ceux de l’enfance et de l’adolescence d’un côté, et ceux de la jeune enseignante en train de se défaire peu à peu de ses chaînes, de l’autre. Cette stratégie narrative fait en sorte que le livre se lit dans un seul souffle.

« Certains de ces étudiants sont plus âgés que moi et habitués à ce que ce soit des prêtres qui leur enseignent. La barre est haute, ça m’effraie, je ne pourrai jamais avoir l’assurance tranquille de ces hommes entre hommes, mais je ferai mon possible pour attirer leur attention. »

Il serait tentant de scruter le Québec des régions dans les années 60 et 70 à l’aide d’un microscope contemporain pour y détecter, facilement ,tout ce qui excluait les femmes des privilèges masculins. Louise Desjardins évite cette quête stérile en montrant, encore une fois, la vie simplement. Comme dans un livre d’Histoire, écrit pour une fois, par une femme.

Ici, la jeune enseignante se fait sermonner par la direction de son collège, là, la jeune fille se heurte à une mère battante, mais résignée et un père fièrement macho. Mais encore, adolescente, elle doit souvent assumer le rôle de mère avec ses frères, et pire que tout, le mari, prénommé Aimé!, semble l’appuyer au début et se révèle être lui aussi un égocentrique dont la « carrière » passe avant tout chose, surtout les siens, femme et enfants.

Louise Desjardins raconte tout cela sans hargne ni esprit vengeur. Elle ne manque pas d’humour d’ailleurs. Dans les petits faits et gestes de la vie quotidienne, sa narratrice, et nous, tirons les leçons qui s’imposent: les obstacles et les digues finiront pas céder devant la persévérance de cette jeune femme néanmoins romantique et rêveuse.

Et Dieu et les hommes peuvent bien trembler devant cette force inaltérable, presque invisible, mais invincible. Cette femme porte en elle la raison du Juste.

« Je crois pu en Dieu, p’pa. Tu crois pu en Dieu. C’est pas possible. Oui, c’est ça p’pa, je te dis la vérité. Ben là, ben là. Il se met à pleurer et me prend dans ses bras. J’ai manqué mon coup. J’ai manqué mon coup avec toi, je t’ai mal élevée.

Non, p’pa, t’as pas manqué ton coup, c’est juste que je vis selon mes convictions et, ça, c’est toi qui me l’a appris.

Tranquillement, il remonte le sentier qui monte vers le chalet en essuyant ses larmes. Je reste sur le quai, les shiners se promènent, frétillant dans l’eau dorée.

C’est un beau dimanche. »

On ne peut que refermer le livre en pensant à nos sœurs, notre mère et nos grands-mères et en admirant leur courage magnifique. En les remerciant, aussi, d’avoir continué malgré tout.


Louise Desjardins

La fille de la famille

Boréal

200 pages