ARTS VISUELS: Dépôts de durée

Les personnages, 2020, édition 1/3, Impression numérique sur papier Legacy Baryta de Epson, 97 x 145 cm (38 x 57) 

La galerie Occurrence a été obligée de remettre à une date ultérieure son événement de levée de fonds, Valise. Comme elle a dû le faire aussi, comme bien d’autres galeries, pour ses expositions. Mais l’automne est là et tout reprend tranquillement. L’année commence ainsi avec une double exposition et un double vernissage, pour s’assurer d’avoir un nombre restreint de spectateurs. Les 15 et 17 septembre, s’ouvraient les présentations de Marie-Josée Laframboise et de Judith Bellavance.

La seconde offrait le résultat d’une découverte. On connaît l’engouement, la passion de l’artiste pour les objets trouvés, glanés, collectionnés. On sait combien son travail repose sur leur saisie dans des espaces qui ont peu à voir avec ceux dont ils proviennent. En les délocalisant et en les relocalisant, de fait ou quand devenus images, Judith Bellavance leur redonne vie et instaure une narration, une histoire fondée sur la suite des photographies. Quelque chose de subtil et de diffus les imprègne dès lors d’une aura inédite, à mi-chemin entre ce qu’ils ont pu être et sont encore et ce qu’il advient d’eux dans ce décor nouveau.

Pour Le goût de la durée, il en va autrement. Le tout débute par un passage en Gaspésie où elle découvre le village irlandais de Douglastown et sa vieille église. Elle y revient en 2019 pour parachever ce qui donnera l’exposition que l’on voit à Occurrence. On la sent un peu étonnée par sa réaction.

Qu’elle ait été séduite par le lieu est compréhensible, au vu des images. Mais, enfin, il s’agit maintenant de photographier un lieu et dans un lieu. Donc, il s’ensuit que le contexte des images est déjà là, offert et qu’il ne peut s’agir ici de recontextualiser ce qui a été glané ici et là. Elle choisit donc d’accepter et de vivre ce qui pouvait apparaître, en regard des séries passées, comme une limitation, un sens déjà-là, lourd, incontournable.

Parcours guidé

Le spectateur des images montrées, ne s’interroge guère, lui. Il suit une sorte de développement au sein duquel il se laisse guider, confiant. Car, les scènes montrées suivent une sorte de parcours, nous menant d’une pièce à l’autre, épousant l’enfilade des pièces que l’on traverserait en vrai si on visitait le lieu. Il accumule les fins indices, sent bien qu’il est arrivé, de la pièce d’entrée au sous-sol, à la salle communautaire.

Tout baigne dans une couleur très vert d’Irlande. Ce sont des scènes d’objets un rien étranges qui nous sont montrées. Il y a des trophées alignés sur une tablette, des figurines, un comptoir derrière lequel apparaissent des appareils de cuisine. On imagine les réunions tenues là, des activités de paroisse et de village, le lieu de rassemblement qui semble depuis longtemps oublié. Un escalier, un porte-manteau nous aident à nous repérer quelque peu, ponctuent notre marche au sein des images.

Des angles singuliers, parfois, isolent des objets et les suspendent, dirait-on, dans une sorte de non-lieu. Une maquette trône près d’une porte. On sait bien et voit bien que c’est un modèle réduit, comme l’annonce sa description. Mais on se surprend néanmoins du rapport d’échelle qui se fait entre les deux protagonistes de l’image. Il y a aussi que l’on passe parfois, selon un rythme qui est bien dosé, d’images de détail à d’autres plus globales, embrassant la pièce appréciable dans une part de sa totalité.

Présence/absence

Une image retient l’attention, tant elle semble résumer le propos de cette présentation et de ce que Judith Bellavance s’est donné comme mandat. C’est La présence, où un objet, se découpant sur cet insistant fond vert, se dérobe parce que voilé d’une crinoline. Ce fantôme de présence en dit beaucoup sur l’esthétique de l’artiste.

Celle-ci semble, en effet, en recherche de présence. Au-delà du découpage et de la somme matériels de la chose montrée, il y a, qui hante, le souvenir de ceux à qui elle a servi, la mémoire des actions auxquelles elle s’est prêté. C’est là, derrière l’objet, qui l’englobe et le relance, l’enduit et y glisse. C’est un soupçon, un vestige, une dérobade. C’est tout cela à la fois. La photographie duplique ce qui est montré, en offre un analogon mais elle ne peut toujours en transmettre que la surface. Pour aller outre, il faut plus. C’est ce plus, si fin, si délicat, que cherche à montrer Judith Bellavance, dans un travail qui vise, on pourrait le dire ainsi, la transcendance partout à l’œuvre dans ce qui nous entoure.

La présence, 2020, édition 1/3, Impression numérique sur papier Legacy Baryta de Epson, 81 x 121 cm (32 x 48)

Judith Bellavance, Le goût de la durée, galerie Occurrence, du 15 septembre au 7 novembre 2020. Les mêmes dates s’appliquent à l’exposition Le gymnase, de Marie-Josée Laframboise