
La Sentinelle est une nouvelle compagnie formée de Lyndz Dantiste, Tatiana Zinga Botao et Philippe Racine. Un nom fort pertinent. Comme la lampe qui reste allumée la nuit au théâtre, le trio se veut un éclaireur de consciences par et pour la diversité sur les scènes montréalaises. Une belle aventure qui commence.
Tatiana Zinga Botao et Lyndz Dantiste se sont connus sur le plateau de Les fourberies de Scapin au TNM en 2017 dans une mise en scène de Carl Béchard. À la recherche d’un metteur en scène, ils ont pensé à Philippe Racine. La Sentinelle était née. Tatiana, qui ne vient jamais sans La Sentinelle, est maintenant en résidence au Quat’sous.
Les voilà à la tête de quatre soirées de textes puissants et pertinents au Quat’sous. Dans le coin droit, Philippe Racine et Tatiana Zinga Botao dirigent la lecture de M’appelle Mohamed Ali, un texte magnifique de Dieudonné Niangouna; dans le coin gauche, Tatiana Zinga Botao a convoqué six autres comédiennes pour partager les mots d’autrices d’ici et d’ailleurs dans Lettres africaines.
« On est un chœur de comédiens sur scène auquel s’ajoute Tatiana qui joue la mère de Mohamed Ali, explique Philippe Racine. C’est un solo à la base [lu par Iannicko N’Doua en 2014 dans une mise en lecture d’Alice Ronfard qui avait découvert le texte]. Cette fois, on pourra entendre le texte à travers différentes personnalités tout en faisant ressortir les enjeux du texte.
Ali c’est le combat d’une vie contre la ségrégation raciale, mais à l’aide de ce personnage plus grand que nature, ce texte troublant d’actualité aborde aussi des thèmes comme la valeur de l’existence, la fierté, la résistance et l’esprit de communauté.
Lyndz Dantiste, Fayolle Jean Jr., Didier Lucien, Maxime Mamperousse, Widemir Normil, Rodley Pitt et Philippe Racine feront entendre la voix de l’ancien champion du monde de boxe, modèle de persévérance pour tous les Noirs d’Amérique.
Pour la troupe, il s’agit d’une étape de travail en vue d’une mise en scène et d’un spectacle en soi.
À la différence du collage de Tatiana Zinga Botao qui comprend des textes tout aussi percutants de Jessica Beauplat, Calixthe Beyala, Marilou Craft, Lorrie Jean-Louis, Marie-Louise Mumbu et Chloé Savoie Bernard. La cofondatrice de La Sentinelle en fera la lecture avec Leïla Donabelle Kaze, Sharon James, Nadine Jean, Stephie Mazunya, Mireille Métellus et Marie-Madeleine Sarr.
« Durant les dernières semaines, note Tatiana Zinga Botao, la mort de l’Afro-Américain George Floyd a réveillé en nous une vague de colère historique contre le racisme, les brutalités policières et les inégalités sociales. Mourir de racisme c’est notre crainte à tous et à toutes. Nous avons ressenti l’urgence de libérer notre parole, que notre parole soit entendue. »
Diversité
Pour elle, La Sentinelle est un outil qui permet de réfléchir à la question du « comédien noir sur scène ». C’est une quête qui, avouons-le, n’a pas tant évolué depuis le temps qu’on réclame plus de diversité au théâtre québécois.
« Il faut s’accepter comme ces êtres humains et cette société imparfaits que nous sommes, estime Philippe Racine. C’est décourageant par moment, mais l’idée est de garder les pieds sur terre pour faire avancer les choses. Je le vois comme dans mon humble métier et mon apport sur cette terre. Il y a eu des avancées. Avec Ali, on défend une parole qui le montre, mais qui reste d’actualité. C’est un texte majeur lu par des professionnels qui ont entre deux et 25 ans d’expérience. »
Même si la tâche peut sembler lourde parfois , Tatiana Zinga Botao rappelle qu’ils et elles sont redevables aux Mireille Métellus, Wildemir Normil et Didier Lucien ayant ouvert la voie depuis des années. Elle et Philippe et Lyndz peuvent ainsi assumer leur rôle de militant, mais se concentrer surtout sur leur travail d’artiste « japonais », comme écrirait Dany Laferrière.
« Notre show de femmes est moins revendicateur qu’Ali, note Tatiana Zinga Botao, et porte sur la réalité des femmes noires, l’amour, l’intersectionnalité. C’est plus ludique dans une formule cabaret. Ce ne sont pas des textes de théâtre. Il y a de la poésie, des revues littéraires, des chroniques. J’avais envie de montrer la multiplicité de nos points de vue. »
Multiples
Elle fait d’ailleurs ce métier, entre autres, pour voir sur scène ces réalités longtemps occultées dans la culture québécoise.
« J’étais extrêmement complexée. J’ai dû faire tout un chemin pour être fière de moi dans cette société occidentale . En lisant Robyn Maynard [NoirEs sous surveillance – Esclavage, répression et violence au Canada, dont elle a lu un extrait émouvant lors du Cabaret de la résistance en ouverture du Festival international de littérature], je me suis rendue que ce n’était pas moi le problème.«
« Je vivais dans une monde, poursuit-elle, qui était plus dur avec moi, ne laissant aucune place à mon innocence. J’ai dû vieillir plus vite. Le mot « résilient » est horrible quand on est noire à 15 ans. On devrait pouvoir vivre son adolescence comme tout le monde. »
Elle nous annonce, en conclusion, que La Sentinelle souhaite créer un projet de pièce autour des écritures des autrices noires d’ici. À toutes les directions de théâtre de s’en emparer maintenant.
M’appelle Mohamed Ali et Lettres africaines au Quat’sous, les 24 et 25 septembre ainsi que que les 1er et 2 octobre, suivis de rencontres publiques animées, lors des premières, par Webster et Émilie Nicolas.
Infos: quatsous.com