LITTÉRATURE: Sur les ailes de Christian Lemieux-Fournier

Partir. C’est difficile pour celles et ceux qui restent ou qui n’ont nulle part où aller. Surtout en ce moment. Mais personne n’est malheureux de voir l’année 2020 partir enfin. Plusieurs sortes de départs sont évoqués par Christian Lemieux-Fournier dans les 23 micro-récits qui composent son recueil paru cette année aux Éditions Sémaphore. Autant de façons de dire que partir peut faire douleur ou faire joie, même si ce mouvement est l’inéluctabilité même.

Christian Lemieux-Fournier signe un petit livre empreint de douceur et de poésie avec Partir. Inspiré par le décès de sa mère, l’auteur tourne le dos à la porte des arrivées pour observer les émotions surgissant des petits et grands départs dans une vie. Malgré l’obscurité que cela peut supposer, il en tire la juste part de leçons.

La belle part revient de droit à la mère, thématique de tant de fictions et d’essais ces temps-ci, celle qui encadre le chemin et qui guide le pèlerin, du berceau à la dernière civière.

« C’est bien à partir d’elle que tout se meut, que nous nous déplaçons. Chacun de nous trace sa ligne concentrique. Impossible d’échapper à sa force d’attraction », écrit si justement l’auteur qui a, auparavant, beaucoup écrit pour la jeunesse.

Durant l’enfance, la mère calme le jeu et les cauchemars. Elle sait donner équitablement et dans de beaux emballages même s’ils qui disparaîtront aussitôt. Généralement trop occupée par la marmaille, elle arrivera à s’échappe en rêvant, soulevée par le parfum de lilas. Sa substitut à l’école, la maîtresse, s’inquiète alors de la lecture de l’enfant à haute voix, qui cache un zézaiement.

La mère fait partir les mauvais rêves et les mauvaises pensées. Avec prudence, lucidité et sagesse en toute chose. « Deboutte » dans le présent, elle construit et répare, apaise et réconforte. Et s’il lui reste du temps, en tant qu’éternelle aidante naturelle, elle pourra finir un diplôme… d’infirmière auxiliaire. Elle est celle, aussi, qui donne confiance en soi et pousse les oisillons hors du nid pour qu’ils apprennent à voler.

« Le temps. Le temps d’aller nulle part et de revenir cent fois, de s’écraser vraiment pour tout bien regarder.

Le désir soudain de partir très loin, ailleurs, au bout, la route toute droite et courbe, et le gravier sous les souliers.

Marcher en s’imaginant des choses, en jouant sur la ligne blanche.

Entendre tout le silence empli de soi. Et sourire, heureux d’être ici, là-bas, ailleurs toujours et déjà. « 

Même si l’auteur ne les qualifie pas de tels, il s’agit d’enseignements donnés sans prétention dans un style simple avec de courtes phrases et animé par la plus grande tendresse possible. Un humour léger accompagne d’ailleurs le lecteur dans cette rencontre amicale avec le monde et l’imaginaire de celui qui (d)(é)crit. Celui qui surmontera honte et déprime. Notamment, celles qui englobent la mort de la mère et qui donne lieu au plus émouvant récit du recueil, Le lien.

Solitude

La seconde section du livre, Solitude, est habitée toujours par le souvenir de la mère, mais ce sont également d’autres départs qui préoccupent Christian Lemieux-Fournier, comme la perte de la mémoire, par exemple. À ce sujet, et pour paraphraser Voltaire: on meurt par détails.

Sur la route de Compostelle, l’auteur raconte de façon rigolote une conversation qui dégénère à propos de tomatee. Plus loin, il porte son regard sur ses propres enfants et le « plaisir de voir la vie d’en haut »… qui sait, peut-être là où se trouve une âme maternelle qui veille!

Il salue au passage l’esprit de communauté que représentent les amis, la famille, les proches disparus. Lui-même hospitalisé et opéré, il en ressort avec une foi nouvelle en l’existence.

Il n’y a rien de bien sorcier à la manière Lemieux-Fournier, mais son livre adoucit le vide des départs. En pleine pandémie, pendant laquelle plusieurs ont été privés d’un dernier adieu à leurs morts et qu’il y a eu beaucoup plus de départs que d’arrivées en 2020, nous semble-t-il, ce livre nous aide à comprendre que Partir est le lot de tous, que l’on peut et doit respirer à fond avant d’y arriver.


Partir

Christian Lemieux-Fournier

Les Éditions Sémaphore

80 pages