
Pour marquer les 12 derniers mois d’un adjectif autre que « pandémiques », nous retenons encore une fois 25 livres « remarquables ». Des nouveaux recueils de poésie qui ne sont ni des rééditions ni des traductions. L’important reste ce que font les mots, au-delà des drames et des deuils. Ces mots nécessaires, ces vers qui inspirent et propulsent ailleurs. Là où nous rêvons d’être.

Morts, debout ! , Nora Atalla, Écrits des Forges, 84 pages
» recoudre une à une / les cicatrices creusées / par nos hystéries // chaque anfractuosité / raconte une histoire // chaque excavation / renferme un soleil «
Ornithologie, M. K. Blais, le Quartanier, 106 pages
» On est à peine un bruit de fond. Le monde une faute de frappe. // On secoue la nappe sur la galerie au lieu de réaliser nos rêves. Il nous reste toujours cinq minutes à vivre. On n’a jamais l’impression d’avoir vraiment vécu. On dirait qu’on a toujours été ici, dans la rangée des surgelés, à chercher les bâtonnets de poisson, à suivre les flèches au sol, à manque d’air. «
Biographie de l’amoralité, Jonathan Charette, Éditions du Noroît, 192 pages

» Sculpture de draps dans un coin / cent cinquante heures / à broder des globules rouges // deux cents / à organiser écueils et sommets / / les ampoules pleurent // à travers une architecture de l’intime / les fluides agissent comme mortier / dans un hommage aux ébats clandestin «
Le coeur-accordéon, Mireille Cliche, Éditons du Noroît, 120 pages
» Quarante matins déjà / Quarante cavernes où l’on s’offre / Le luxe de creuser sa vie de fourmi / Dressé au labeur et à l’utilité / Quarante fois toiser l’huile mesurer le vent / Tenir le temps dans sa main fermée / Puis rendre le temps au temps / Qui tourne en lui-même comme toujours / Et laisse autant de traces / Qu’un papillon «
La révolution permanente et autres poèmes, Shawn Cotton, l’Écrou, 112 pages

» Mais tu es morte maintenant / il y a quinze mille ans d’immenses glaciers / recouvrent la chambre où nous vivions ensemble / tu es morte maintenant nouvelle ère de glace / et dans la remise des boîtes pleines de toi / autour le sol s’affaisse de plusieurs mètres / et j’enveloppe ton ombre dans le chauffage / ouvert pour la première fois «
Nature morte au couteau, Anne-Marie Desmeules, La Quartanier, 168 pages
» Qui sera l’élue ? Qui traversera l’eau sale pour éteindre les luttes, abattre les statues ? Nous rentrerons par la route des abysses, la panse bardée de mets cassants. Les déserts nous rassureront, puis nous perdront. Nous résisterons aux eaux fortes, puis céderons d’un simple coup de pied. Rien n’aura finalement changé, que ce que nous voulions permanent. «
Cœur yoyo, Laura Doyle Péan, Mémoire d’encrier, 96 pages

» je pleure ton départ alors que / des mères pleurent le départ de leurs enfants alors que / des enfants sont séparées de leurs mères / emprisonnées arrêtées / déshumanisées // j’aimerais pleurer pour elles aussi / avoir la force d’un ouragan / détruire prisons et frontières / abreuver mères et enfants // j’aimerais / ne plus m’en faire / pour toi // je condamne mon cœur / pour crime contre l’humanité // refouler mes larmes / n’aura sauvé personne «
Lola et les filles à vendre, Marisol Drouin, La Peuplade, 112 pages
» J’aime les jours qui n’ont pas été / la peau comme un vêtement usé aux genoux / j’aime le mot frénésie / le nuage de sang dans l’eau / et toutes celles qui n’ont jamais écrit «

pourritures terrestres, toino dumas, L’Oie de Cravan, 88 pages
» nos corps assiégés de futur / sont déjà une religion / de sel et d’eau / il existe des vallées entières / où pour seule végétation / des prières lentes / s’étendent sur des kilomètres / parler dans ces lieux / c’est semer un jardin / qui nous survivra »
Notre-Dame du Grand-Guignol, Sébastien Émond, Hash#ag, 82 pages
» la suture est en jeu / et ce que ça laisse de cicatrices // tu brises ton corps derrière toi / pour ne plus percevoir / ce qui fait mal / dehors / et te décharger / de toutes les défigurations / du monde // tu sais / le soir venu / tous les ventres remplis resteront à défaire / à la fourchette / et tu devras bouffer les lambeaux // au moins Daddy / dans ton ventre / fera taire l’appétit «
Abandons, Danielle Fournier, Triptyque, 86 pages

» Un pays ouvert sur l’infini. Une chambre. Un lit où repose celle qui ne trouve pas de repos. Ce pays de brume, de pluie, de soufre, d’arbres pieutés, vient du fond des bois et surgit dans les cheveux blonds d’une enfant : j’appuie maladroitement ma joue contre ce pays de songe et de revenants, J’adresse des lettres aux dieux, aux vivants. Ne suis pas épargnée, n’ai pas tenté de l’être. Cherche des mots simples, ceux de ma grand-mère, du fleuve, des mots d’hiver, d’été, des mots qui aident à franchir le seuil ; des mots qui réhabilitent.
Tous, sauf un. celui paraphé des initiales du silence. »
Les jardins de linge sale, Laurence Gagné, Le lézard amoureux, 72 pages
« pour nous réveiller / je vais répéter les mêmes mots / jusqu’à me brûler // je voudrais t’inquiéter // es-tu inquiet // j’ai pris la couleur / des étoiles qui explosent / et tu peux rien faire »
Le ciel en blocs, Mireille Gagné, l’Hexagone, 80 pages

« pendant des jours le mot résonne / s’infiltre crée un jour entre la plaque et mes pieds à chaque pas mon corps en déséquilibre vacille / j’ai peur / le vent se lève / je risque de tomber on ne se souviendra que de mon effondrement »
Et arrivés au bout nous prendrons racine, Kristina Gauthier-Landry, La Peuplade, 128 pages
« des deuils / tu en as mille / moi aucun // c’est vrai des fois / je me suicide / mais ça ne dure jamais longtemps // jalousie de salon / ordinaire »
Le temps qu’il fait, Christian Girard, L’Oie de Cravan, 96 pages

« Toute la journée des dieux inutiles, immenses et malades, se vautreront dans le ciel. Le dos bien calé sur le coussin translucide de l’atmosphère, ils offriront à vos yeux le spectacle ennuyant de leurs boursouflures flasques et couleur de cendre, de leurs ecchymoses vagues. »
La femme cent couleurs, Lorrie Jean-Louis, Mémoire d’encrier, 104 pages
« J’ai beaucoup de sœurs / elles ne savent plus s’asseoir / sans mourir // j’ai une faille grande comme la mer / là où ça devait être étanche // apparemment / il n’y a plus rien à faire / selon l’algorithme des hommes / qui n’ont jamais soif // demain je me lèverai / avec les réfugiés / des paroles sans amour »
Pendant que Perceval tombait, Tania Langlais, Les herbes rouges , 98 pages

« un étonnement / voici qu’on frappe / à la fenêtre et à la porte / c’est son corps repêché / elle a les yeux de la dernière attaque / ses cheveux lui couvrent la bouche / l’histoire est toujours / accidentelle, dis-tu / l’histoire est toujours / une affection de la beauté »
Passer l’hiver, Kateri lemmens, Éditions du Noroît, 112 pages
« je rêve d’un soir de neige // de résurrection // d’encre à plein ciel // tête baissée // au thorax // le scintillement // encore // qui bat des ailes // je ne dirai rien // ni l’arc de fièvre // (reins // gorge // et poignets) // ni les heures bleues de janvier // (la solitude // entaillée // à peine) // je ne dirai rien // je serai le retour »
Les îles Phœnix, Rosalie Lessard, Éditions du Noroît, 144 pages

« Notre monde est aussi une dystopie // Réel ou pas ? / Nous nous le demandons / pour chaque pluie, / pour les arcs les plus lourds / et même pour la couleur / de nos yeux. // Alors qu’on peut à peine espérer / prendre racine / sur les décombres, / la souffrance s’y répand / comme la menthe. // Le temps des jeux, / ils auront eu notre peau. / Ils auront attaché de faux souvenirs / à nos poignets, à nos chevilles. / Ils auront donné aux oiseaux / les voix secouées / de hurlements / de nos bien-aimés. // Et nous aurons été sanguinaires. »
Les boucliers humains, Danny Plourde, Poètes de brousse, 120 pages
« l’hiver est indispensable / d’une planète à l’autre / l’entraide tissée serrée // comme si de rien / les engelures // donne-moi une raison / de ne pas partager / l’art pyrotechnique / de s’étreindre // je suis celui qui / va apprendre pour / toujours // je fournis le feu l’abri / le sel de mes yeux »

Formes subtiles de la fuite, Virginie Savard, Triptyque, 96 pages
« je me réveille / tous les jours à l’envers / la maison déposée sur une chaise / il faut bien / habiter quelque part // je me brise / le dos à balayer l’asphalte / dans les banlieues // je me prépare j’attends les prédateurs la mort / les requins les dieux les fantômes / les cyclones mais / je ne fais que compter encore / le nombre de jours depuis / que quelqu’un m’a parlé »
Noctiluque, Marie St-Hilaire-Tremblay, Les herbes rouges, 72 pages

« Je doute de tout / forcie/ crue / emmurée / je m’enrêve / pille / l’herbage / engourdi / m’huile / étape par étape / brille / éclisse mystère profond / mystère géant sans chevaux blancs / manipule la corde enfoncée / dans l’arrière-gorge.«
Vie nouvelle, Michaël Trahan, Le Quartanier, 208 pages
« Vie nouvelle est un rêve que je n’ai pas su oublier c’est un feu un mot magique le nom que je donne à ce qui vient après la nuit après la peur & le secret car il y a une fin à tout égarement comme à toute faute soit on l’appelle on l’invente on fait son lit soit on descend on demande pardon et on brûle avec elle je ne sais pas ce qui m’attend je traverse la pluie je connais le noir je connais le blanc le désarroi se consume indéfiniment on commence par une allumette un mur une vague le jour m’ignore m’encercle m’ouvre je cherche une image si pure qu’elle se brise. »
Je suis l’ennemie, Karine Trudeau Beaunoyer, Le Quartanier, 120 pages

« Ma mère sur le carrelage, je la recueille. Je soulève ses jambes, les appuie sur le bord du bain pour renvoyer le sang à la tête. J’étreins sa chair nue, je cache les seins énormes, le sexe et les ecchymoses. J’absorbe la couleur de ce qui me touche. Je ne peux pas regarder de trop près. Si je voyais son corps de trop près, je verrais l’eau de naissance irisée qui ruisselle, j’entendrais d’entre ses cuisses surgir son feulement d’accouchante et je finirais enfuie. »
Vanités, Émilie Turmel, Poètes de brousse, 80 pages
« ce n’est rien / qu’un peu de sang en partage // que cette scène de carrelage froid / et d’émail impeccable / mon corps ébloui debout / strident de solstice / mon corps nu / tordu vers les miroirs »
