Roses, texte Louise Dupré © Anouk Van Renterghem, L’Atelier des Noyers
L’heure violette, texte Denise Desautels © Erika Povilonyté, L’Atelier des Noyers
Cœur d’orange, texte Diane Régimbald © Christine Brioul, L’Atelier des Noyers
Tous les beaux livres coûtent très chers. Faux. En mini-format, ils sont plutôt abordables. La maison française L’Atelier des noyers vient de publier Roses de Louise Dupré / Anouk Van Renterghem, L’heure violette de Denise Desautels / Erika Povilonyté et Cœur d’orange de Diane Régimbald / Christine Brioul. Alliées à trois artistes européennes, les poètes québécoises se retrouvent dans de beaux écrins qui peuvent composer ensemble un cadeau de Noel idéal pour les amateurs.trices d’arts visuels et de littérature.
Pour combattre le gris du temps présent : le rose, le violet et l’orange. Trois couleurs chaudes qui ont inspiré les auteures montréalaises Louise Dupré, Denise Desautels st Diane Régimbald, publiées ici au Noroît, à écrire de courts poèmes partageant l’espace avec des créations de plasticiennes européennes dans la collection Carnets de couleurs de la maison d’édition l’Atelier des noyers.
En 2018, Denise Desautels (Noirs) et Louise Dupré (Carnet Ocre) avaient déjà publié chez cet éditrice française en compagnie des mêmes artistes visuelles, une expérience fort positive des deux côtés de l’Atlantique. Denise Desautels connaissait la directrice de L’Atelier des Noyers, Claire Delbard depuis plusieurs années. Louise Dupré et Diane Régimbald ont également rencontré l’éditrice à des marchés de poésie.

La petite maison indépendante a été fondée en 2008. Depuis quatre ans maintenant, L’Atelier « propose à des créateurs (auteurs et illustrateurs) de relever le défi de jouer ensemble la partition de l’émotion de la première rencontre autour d’un texte ou d’un univers graphique ». Une aventure littéraire et picturale qui s’articule autour de trois types de carnets : philosophie, vie, et couleurs, là où les poètes québécoises se retrouvent.
Une affaire de cœur en quelque sorte. Ce mot revient souvent dans le recueil de Denise Desautels L’heure violette, illustré par Erika Povilonyté.
» On peut traiter le violet comme un noir aussi, dit-elle. Le mot cœur c’est dans ma famille. Une famille de gens qui pleuraient souvent. Mon père est mort à 39 ans d’une thrombose coronaire. Mon frère en souffre aussi. C’est présent autour de moi. Mais il y a plusieurs couches au mot cœur aussi. »

Pétel
Parlant de cet organe essentiel, Cœur d’orange, pour Diane Régimbald, représente ce qui se veut le plus près du féminin dans un recueil empreint de sensualité. Illustré par des photos de Claire Brioul.
« Je suis entrée dans la couleur, fait-elle. J’avais envie d’aller dans la chair, dans tout ce que l’orange a d’organique. J’ai visité les tonalités du plus clair au plus sombre et vice-versa dans ce rapport au corps et au coeur. »
De son côté, Louis Dupré ne fait pas nécessairement dans le rose bonbon dans son petit livre. L’auteure sortait de la correction de son roman sombre Théo à jamais quand elle a entrepris d’écrire les poèmes de Roses, illustrés par Anouk Van Renterghem.

» J’avais besoin de sortir du roman et j’ai choisi le rose comme couleur. Je suis revenue à l’enfance. C’est une couleur kitsch, petite fille. Dans la féminité, c’est la couleur la plus soumise et stéréotypée. J’ai décidé de déconstruire le rose pour voir ce qu’il cache. La couleur qui est là, j’essaie de la faire porter sur le noir. Mes derniers recueils de poésie sont assez noirs merci. »
Collaboration
Le travail de collaboration est évidemment très important dans le cadre de de telles publications. Pour L’heure violette, l’artiste Erika Povilonyté avait montré trois séries d’œuvres différentes à Denise Desautels.
« Je sentais que Claire, l’éditrice, souhaitait quelque chose de différent de Noirs que j’avais aussi fait avec Erika. Je me suis dit qu’on devrait aller vers le trait et l’hachure. Les 19 poèmes sont très tassés et j’aimais l’idée qu’il n’y ait pas d’explosion de formes à côté. Erika était heureuse de mon choix. »
« C’est un livre violet sombre si on peut dire, poursuit-elle. J’ai joué avec les sons dès le début du recueil en alternant les consonnes sourdes et violentes. Je m’aperçois que mes poèmes sont presqu’agressivement sourds et sonores. C’est comme si j’avais été portée par les sons et les mots pour écrire ce livre là. »
« Rubans balles alcools et canons.
Black Words.
À la une les vestons mâles
investissent tout.
L’heure violette va
bien au-delà de nos effrois.
Fanfares au ventre de l’aube. » (extrait de L’heure violette)
Louise Dupré avait également travaillé avec la jeune artiste Anouk Van Renterghem pour Carnet ocre, aussi à L’Atelier des Noyers.
« Elle a fait un magnifique travail avec la couleur. Quelqu’un me faisait remarquer qu’il y a tous les tons de rose qu’on peut imaginer dans le livre. Elle joué avec les formes aussi, allant du figuratif au non figuratif. Il y a une belle complicité entre nous. Anouk comprend bien les nuances de l’écriture. Elles est partie du texte. J’aime laisser le champ libre aux artistes avec lesquelles je travaille. »
« Tu ne pourrais jamais
abolir les haines
aux quatre coins du monde
et pourtant tu essaies
de maquiller le rouge
impitoyable
qui embrase les drapeaux (extrait de Roses)
Cœur d’orange, par contre, est accompagné de photographies. Après avoir envoyé son texte à l’éditrice, Diane Régimbald a reçu un ensemble de clichés de la part Christine Brioul, ce qui a facilité son choix.
« Christine est aussi plasticienne, mais elle souhaitait y aller en photo. Ce sont des photographies avec des interventions. Ce n’est pas seulement du paysage. Il y a des micro-détails et des abstractions. L’approche est différente à ce que j’ai fait l’été dernier avec une autre artiste où je travaillais à partir de ses œuvres, mais les deux manières me plaisent. «
« C’est en rêvant de la chair
de cerises de terre en bol de peau
que Désir s’est offert
des sentiers gravés d’aisance
buissons chargés d’amour en cage
lanternes pour éclairer la faim » (extrait de Cœur d’orange)
Mots et couleurs
Ces petits format ne sont pas véritablement de beaux livres – grand format avec couverture rigide et papier haut de gamme – ou des livres d’artiste – une œuvre d’art adoptant la forme et/ou l’esprit du livre -, mais ils empruntent à l’une ou l’autre forme avec des illustrations et des poèmes qui s’interchangent parfois le rôle de « narrateur » dans la page.
Dans tous les cas, l’écrit et l’art visuel se rencontrent, de même que les écrivaines et les plasticiennes avec un cadre différent à chaque fois. La maison d’édition y joue un rôle important. En 2013, les trois poètes – de même que Martine Audet, Louise Cotnoir et Élise Turcotte – avaient écrit dans le livre d’artiste Déjouer des éditions Roselin, maison spécialisée dans ce genre bien particulier.
« On a travaillé avec l’artiste Marie-Claude Bouthillier, explique Denise Desautels. On est allées dans l’atelier de Jacques Fournier [l’éditeur] avec Marie-Claude. Il nous a expliqué la commande. Comme j’ai fait une dizaine de livres pour Roselin, je suis habituée à la contrainte. Il faut penser différemment ce qu’on veut écrire. »
« Avec L’Atelier des Noyers, ajoute Diane Régimbald, je trouvais intéressant qu’on connaisse le format et la thématique. Cette fois, c’était la couleur, avec 20 pages à faire. On est dans quelque chose qui ressemble à ce que l’on écrit pour une revue. «
Est-ce qu’une auteure sent moins de liberté en travaillant avec des artistes visuels? N’y a-t-il pas toujours des contraintes en écriture, même dans des maisons d’édition poétique?
« Il y en a toujours, pense Diane Régimbald. J’écris toujours avec une thématique en tête. Pour Cœur d’orange, j’avais six lignes par page sur un total de 20 pages. Mais la complicité est importante, je pense. Quand on arrive à pouvoir échanger ensemble, c’est quelque chose que j’aime beaucoup. »
« La contrainte de L’Atelier des Noyers, est particulièrement intéressante, poursuit Louise Dupré. Ça nous donne un angle particulier : travailler avec une couleur, un mot qui peut définir un réseau sémantique. C’est un projet qui n’est pas trop long, de sorte qu’on peut prendre des risques. Je ne suis pas certaine que j’aurais écrit un livre de 120 pages à partir de la couleur rose. Ça fait voir un autre aspect de notre travail. »
En participant à Roses, d’autres idées de recueil sont tout de même venues à l’esprit de Louise Dupré. Même chose pour Diane Régimbald qui aimerait poursuivre avec « l’orange » lui fait penser, d’une certaine façon, à la thématique de l’urgence.
Quant à Denise Desautels, c’est le noir, surtout, qui continuera de lui aller à ravir. Elle cite, à ce sujet, Victor Hugo.
« L’homme qui ne médite pas vit dans l’aveuglement, l’homme qui médite vit dans l’obscurité. Nous n’avons que le choix du noir. »
Roses, L’heure violette et Cœur d’orange sont disponibles dans les librairies suivantes: Alire, Gallimard, L’Écume des jours, L’Euguélionne, Le Port de tête, Square Saint-Denis et Square Outremont.