
Le projet était dans l’air depuis quelque temps déjà. L’artiste et sa commissaire, Isabelle Hayeur et Mona Hakim, planchaient sur une exposition en trois volets, accompagnée d’une publication ambitieuse par sa portée et son nombre de pages et, évidemment, d’œuvres reproduites. Tout cela était prévu pour l’automne et voilà que frappe la deuxième vague de cette pandémie! Qu’à cela ne tienne, on a tant attendu et espéré et nous revoilà enfin à pouvoir arpenter les salles des galerie et musées! D’ailleurs fermés pour des raisons qui ne tiennent pas la route…
Donc, reprenons…
On devra cependant se limiter. Le temps a manqué pour aller voir les trois expositions. Celle de la Salle Alfred-Pellan de la Maison des arts de Laval devra nous suffire. Et elle le peut amplement. Il faut dire que la salle est belle, intéressante et agréable à travailler en termes d’espace. Si, en plus, comme c’est le cas ici, on réussit à l’exploiter intelligemment, on met la table à quelque chose de vraiment beau.
Cela nous vaut de voir une bonne trentaine d’œuvres d’Isabelle Hayeur, entre lesquelles sont intercalées trois projections de bonne taille. Ces travaux proviennent de cinq séries dont certaines datent d’aussi loin que 2003. Il y aurait donc à craindre un effet de répétition puisque ces images nous sont familières. Mais force est de reconnaître que la mise en espace et l’agencement ont été ainsi pensés que nous est offert ici une proposition tout-à-fait nouvelle.
Accueillis par des tirages de Underworlds, somptueux, nous sommes gagnés dès l’entrée. Les quelques images exhibées là ont été faites et suspendues de manière à ce que le haut de la ligne d’eau nous apparaisse comme si nous étions nous-mêmes en immersion, tournés vers le jour qui se profile depuis un étroit goulot. Et près de ces végétaux exsangues, désoxygénés!
Puis, suivent Destinations et Nuits américaines, qui sont quand même des séries bien différentes, mais que la présentation des vidéos Hybris et La saison sombre permet d’unir. La série Excavations nous ramène aussi à la représentation du travail minier, au gré d’images altérées par la photographe, pratique plus centrale dans son travail des années 2004-2008, approximativement. Mais surtout plus visible et voulue telle!
Avec Nuits américaines et surtout la série finale de Desert Shores, nous sommes confrontés aux effets d’une déliquescence un rien différente. On ne voit plus là les traces de cette pollution, bien trop ordinaire, des sites que nous exploitons pour nos besoins en énergie ou nos loisirs. Avec ces séries, nous sommes plutôt devant les reliquats de nos anciennes habitations, ou alors de sites résidentiels un jour populaires et, depuis, laissés à l’abandon total. Ou bien repris par les exclus de nos Amériques, les évincés du cercle économique.
(D’)énoncer
Les images se passent de tout commentaire. Elles suffisent à la démonstration. Mais y a-t-il eu réelle démonstration? Le fait de montrer est déjà bien assez. Le titre, à cet égard, est évocateur. On sent bien qu’il nous est intimé de voir. De bien cadrer ce qui reste des idéaux du progrès économique. Il est question de montrer, simplement montrer, comment nous habitons notre environnement et ce que fait subir à celui-ci notre résidence sur la terre. Cette occupation qui ressemble de plus en plus à un carnage. Voilà les faits. Voilà ce qui en est pour nous de vivre sur ce globe. Voilà ce qui en reste et qui s’étendra. C’est inéluctable. Cela s’en vient.
En regard de cette conviction qui ne peut manquer de devenir évidente pour qui regarde sans ciller, il y a, projection centrale dans la galerie, Fragile Dream. L’oeuvre d’une vingtaine de minutes offre, à tout le reste, une sorte de pendant auquel il est bien possible qu’on ne puisse plus que rêver aujourd’hui.
Aux amalgames douteux que la pollution crée, elle préfère les osmoses incessantes qui permettent à tout le vivant d’être et de prospérer. Aux mixtions contre-nature, elle oppose un cheminement au sein d’une forêt australienne sis dans un environnement protégé. L’intrication des éléments naturels est suggérée à l’aide d’une mise au point qui varie, au gré d’une profondeur de champ gardé au plus mince. Allant de ce qui est éloigné de nous vers ce qui est plus proche, la caméra détaille ainsi toutes les composantes, nombreuses et vivaces, d’un espace encore vierge.
Les lieux ne sont certes jamais les mêmes. Mais le flou dans lequel tout finit par disparaître crée un effet de liaison. D’où le terme d’osmose qui est employé plus haut et qui permet de convenablement expliquer la force d’une synergie recréée par l’artiste, qui est celle du cosmos tout entier. Dont nous nous sommes par trop éloignés…
Isabelle Hayeur, (D)’énoncer, commissaire Mona Hakim
Maison des arts de Laval, salle Alfred-Pellan, du 13 février au 7 mars
Plein Sud / Centre art actuel
du 9 au 27 février 2021
vimeo.com/469380067
Galerie d’art Antoine-Sirois de l’Université de Sherbrooke
du 13 février au 13 mars 2021
Visite commentée de l’exposition (D)énoncer d’Isabelle Hayeur, avec la commissaire Mona Hakim : vimeo.com/481869270
Enregistrement complet de la rencontre Zoom, comprenant la visite virtuelle et la période de questions : vimeo.com/484526995