
Ce roman paru à la fin de 2019 s’avère un antidote aux déchirements inhérents à la question de l’appropriation culturelle. Marie-Pier Poulin a vécu une bonne partie de sa vie chez les Inuits et les Cris. Elle a écrit un livre tout en nuances et en équilibre au sujet d’un jeune homme qui retourne chez lui 25 ans après avoir vécu en ville, chez les Blancs. L’expérience du Nord de la néo-romancière lui permet de pouvoir comprendre en s’éloignant des clichés et des préjugés.
Piari devient orphelin après qu’un accident lui ait enlevé ses parents. Malade, apathique, l’enfant est pris en charge par un prêtre qui l’amène avec lui à Montréal pour le faire soigner. Ce qui devait n’être qu’un court séjour durera finalement 25 années.
Après ses études en médecine, Pierre, comme on l’appelle chez les Blancs, sent que ses racines le rattrapent et veulent le ramener vers le Nord. On est en 1970 et le jeune homme sait que les débats sociopolitiques qui déchirent le Québec ne sont pas les siens. Il quitte son amoureuse et la ville pour revoir les étendues à perte de vue et affronter de nouveaux déchirements, comme seul un exilé involontaire peut comprendre.
Il y retrouve, heureusement, un ami d’enfance, mais devra faire face à la méfiance de ceux et celles nécessitant des soins. Ce médecin à la peau cuivrée, mais au cœur blanc saura-t-il renouer en lui-même les liens brisés par l’absence ? De plus, joindra-t-il le mouvement de résistance inuit qui s’oppose aux projets hydroélectriques de Québec?
Marie-Pier Poulin a écrit un beau roman qui prend pied sur une fine psychologie et un certain suspense. Sa connaissance de la culture inuit et de la vie dans le Grand Nord lui permettent d’éviter les écueils de l’appropriation culturelle. On se rapproche davantage du très beau livre de Juliana Léveillé-Trudel, Nirliit, que de l’Agaguk d’Yves Thériault et autres clichés d’une époque révolue.
Une bonne partie du roman se déroule à Montréal. Le vent de liberté qui souffle sur la ville dans les années 60 exclut cependant les membres des Premiers peuples. Et comme on l’a vu lors de tragédies récentes, ce racisme systémique reste bien présent 60 ans plus tard envers les éternels négligés du Nord.
« Quel est son avenir [à l’Inuk], dans cette province francophone dirigée par les Blancs francophones qui se croient eux-mêmes les sacrifiés du système ? Personne, ce soir, n’a semblé se rendre compte que le projet hydroélectrique prend forme à l’insu d’un peuple plus sacrifié encore, repoussé toujours davantage aux frontières de l’ailleurs. »
L’écrivaine, de par un récit bien mené et des personnages dessinés avec nuances, sait poser les bonnes questions. Chose que peu de Blancs osent faire encore aujourd’hui. Encore plus à l’époque où ceux-ci ne rêvaient que d’indépendance et de révolution pas toujours tranquille.
Hier comme aujourd’hui, la peur de l’inconnu, voilà ce qui guide les faits et gestes, des gens d’ici et d’ailleurs, du Sud comme du Nord. L’écrivaine évite ces obstacles avec une approche presque anthropologique. Attentive aux détails, aux émotions surtout, ce qui rend son roman particulièrement attachant.
Marie-Pier Poulin ne s’égare pas dans les effets de style ou de métaphores trop nombreuses. Elle vise l’authentique, le vraisemblable et y parvient. En se connectant, notamment sur des questionnements spirituels et environnementaux.
« Étrangement, il revoit le fil des événements avec recueillement. Il accepte la place qui revient à l’Homme, celle d’un simple habitant de la terre, immensément petit dans cet univers plus grand et plus fort que tout. »
Il serait facile d’accuser la romancière de sombrer dans les « bons sentiments », mais cela serait négliger sa volonté ferme de s’aventurer sur une couche de glace fort mince quand il s’agit de questions de racisme ou d’appropriation culturelle. En démontrant le plus grand respect et une empathie qui ne se dément jamais.
Mission accomplie.
Marie-Pier Poulin
Débâcles
Les Éditions Sémaphore
224 pages
Romans, contes et récits autochtones





