
Les artistes de la relève risquent d’écoper davantage de l’engorgement qui suivra l’actuelle pandémie en raison d’un recours probable aux valeurs sûres et aux artistes établis par les différents diffuseurs d’arts vivants, ici et ailleurs.
Les gouvernements et les organismes subventionnaires auront fort à faire dans les mois et les années qui viennent afin d’assurer la survie des artistes émergents et de la relève en arts vivants. Appauvris par la pandémie, les diffuseurs risquent de se tourner davantage vers les artistes connus afin de se refaire une santé financière.
S’il y a engorgement au Québec, ce sera encore pire à l’international, s’inquiète la présidente de la SODEC, Louise Lantagne. Elle en a fait fait part lors d’une visioconférence organisée par le CORIM (Conseil des relations internationales de Montréal).
» Est-ce qu’on va aller vers les artistes plus établis ? Comment les diffuseurs vont réagir ? Comment on va s’assurer que la relève prenne une place? Elle doit continuer de prendre sa place, c’est notre avenir. La promotion va être un outil indispensable. »
Également participante, l’artiste multidisciplinaire Natasha Kanapé Fontaine a, quant à elle, pu continuer de faire des tournées au Québec pendant la pandémie.
« Je suis chanceuse, l’une des seules. Je vois poindre l’engorgement et je m’inquiète aussi pour le relève. Il risque d’y avoir des laissés pour compte dans les prochaines années. J’espère qu’on va travailler à faire en sorte que chacun·e ait une chance de continuer sa pratique après la pandémie. Certains·es sont déjà en train de la perdre. »
Parmi les invités du CORIM, personne n’avait de solution miracle à faire connaître pour la relève, que ce soit pour obliger les diffuseurs à favoriser les artistes émergents ou à augmenter le financement des jeunes créateur·trices.
Le directeur du Conseil des arts du Canada, Simon Brault estime toutefois que les changements de génération qui se produisent partout dans le monde, et qui se sont accélérés durant la pandémie, à la tête des institutions et des grands festivals sont de nature à favoriser la relève.
« Ce sont beaucoup des jeunes et des femmes issues de la diversité et des communautés autochtones. Cette nouvelle génération qui va prendre les nouvelles décisions de programmation, je crois, va probablement porter une attention plus grande à l’émergence et à la jeunesse que ce que faisaient leurs prédécesseurs. Les modèles de création et de diffusion des jeunes sont aussi plus adaptés à la situation post-pandémique que les grosses machines du passé où l’on prévoyait les concerts classiques cinq ans à l’avance. «
N’empêche que les programmations continueront d’être planifiées à l’avance en raison, ne serait-ce, que des horaires des artistes. Et il reste à voir si les subventions aideront davantage aussi ces jeunes créateurs·trices à créer et à voyager, quitte à rediriger certains fonds destinés jusqu’ici aux artistes établis.
Vanessa Kanga, fondatrice du Festival Afropolitain nomade, qui compose avec un tiers d’artistes émergents dans sa programmation, note d’ailleurs qu’un « artiste de la relève doit prendre conscience de la richesse de son territoire et de celui où il va en tournée pour découvrant d’autres méthodes de création ».
Numérique
Simon Brault dit reconnaître que le numérique n’est pas la panacée à tous les problèmes qui attendent les arts vivants dans les mois et les années à venir. Il qualifie d’hallucinant le débat qui a entouré le numérique dans les derniers mois, « mais on n’avait pas le choix, soutient-il. Au Conseil des arts du Canada, on a subventionné 1 000 projets d’artistes qu’on n’avait jamais vus ou entendus auparavant en dehors de leur communauté. »
Il s’agit d’un pas important, selon lui, vers la démocratisation de la culture que les structures actuelles ne permettent pas. Il dit comprendre aussi les problèmes de monétisation du web pour les artistes, mais il ajoute que le CAC n’a jamais autant offert de soutien pour maîtriser les outils numériques.
Autre problème : plusieurs régions de monde n’ont pas accès aussi facilement au web et à ses possibilités, souligne Vanessa Kanga. « On est dans un écosystème en Amérique du Nord où la bande passante de ne coûte pas trop cher, mais ça ne permet pas de démocratiser partout l’accès à l’art. »
Également, face au géants du web, Louise Lantagne rappelle que les artistes devront s’atteler à négocier pour conserver la propriété intellectuelle de leurs créations. Elle donne l’exemple de Louis Morissette qui a bien défendu la vente de son film Le guide la famille parfaite. « Il a pu faire un « bon deal » parce qu’il avait conservé ses droits. Il faut monétiser la valeur de nos œuvres. »
Ce qui vaut pour un producteur d’expérience face aux géants du web ne s’applique pas nécessairement aux petites compagnies et aux artistes individuels. Natasha Kanapé Fontaine dit avoir profité de sa notoriété télévisuelle dans le téléroman Unité 9 pour être plus exigeante face à l’appropriation de son travail. Elle a inclus dans ses contrats d’édition une clause obligeant l’éditeur à respecter et à protéger la valeur de sa démarche artistique.
« Les artistes ont cherché à se réinventer bien avant l’appel du gouvernement Legault, estime-t-elle. Beaucoup d’artistes ont réagi rapidement au début de la pandémie. Le mouvement allait dans le sens d’apaiser les inquiétudes en offrant des spectacles gratuits, mais on ne peut pas le faire éternellement. J’ai vu plein d’artistes autour de moi vivre des moments de détresse ne sachant pas comment ils allaient survivre. »
Francophonie
Un débouché intéressant dans le futur pour les artistes émergents d’ici et d’ailleurs reste les pays francophones, et ce, même si on ne sait à peu près rien de ce qui adviendra des tournées internationales après la crise
« Au Québec, on est les champions de la francophonie en Amérique du Nord, indique Vanessa Kanga, mais 80 % des francophones dans le monde vivent en Afrique, La capitale francophone la plus grande c’est Kinshasa et non plus Paris. Il faut en être conscients. Malheureusement, les créateurs·trices vivant ici, mais venant d’Afrique, sont souvent négligés et peu financés. Ils et elles pourraient être des ambassadeurs, mais se heurtent à beaucoup de barrières quand il est question de recherche et de création. »
En outre, si les artistes québécois peuvent généralement se rendre à l’étranger assez facilement, il est très difficile pour les artistes africains, par exemple, de venir ici. La diplomatie culturelle peut être une solution. Un comité du Sénat canadien l’a fortement recommandé à Ottawa en juin dernier. Le Conseil des arts du Canda y travaille aussi.
Une chose est certaine, les échanges internationaux dans le futur ne ressembleront pas à ce qui prévalait avant la pandémie. La SODEC veut développer la relève également chez les producteurs et des entreprises culturelles « pour les aider à amener les artistes à l’international ».
Natasha Kanapé Fontaine dit avoir trouvé sa place comme artiste en voyageant à l’international. « Je me suis rendue compte que continuer à voyager allait toujours m’aider à me développer en tant que poète. [..] Quand je reviens ici, j’aimerais provoquer des débats à ce sujet, mais on manque de ressources ».