THÉÂTRE: Collision Nord-Sud

Marie-Thérèse Fortin dans Nassara, photo: Valérie Remise

Carole Fréchette réussit son retour à la scène avec son plus récent texte, Nassara, qui est superbement interprété, mis en scène et scénographié. Présentement à la Salle Michelle-Rossignol du Centre du Théâtre d’aujourd’hui.

Il y a quelque chose de « classique » au sens noble du terme dans cette nouvelle pièce de Carole Fréchette. Il s’agit d’un haut fait d’armes dramaturgique, mais aussi, l’équipe de création a su donner un souffle presque épique à cette histoire pourtant simple parce que le texte est ainsi construit. La rare disposition perpendiculaire des sièges au CTDA, la blancheur des murs et de certains costumes, renvoient clairement aux Grecs et à leur à agora.

Attentive au moindre mot, la mise en scène de Sophie Cadieux accorde donc à la parole de la dramaturge toute la place qui convient. Les deux interprètes, Marie-Thérèse Fortin et Stephie Mazunya, ajoutent la touche voulue, parfois graves, parfois lyriques quelque fois drôles, au texte superbement écrit qui passe du « je » au « tu » et au « elle ». La tragédie d’une femme de son temps, des femmes de tout temps devant la violence des hommes.

Marie-Odile (merveilleuse Marie-Thérèse Fortin) participe à un colloque international à Ouagadougou portant sur l’agriculture urbaine. Ce tout premier voyage en Afrique amènera son lot de périls inattendus. D’abord amusée par les autres participant.e.s au colloque et le titre de la rencontre « Pour des lendemains qui poussent », la femme d’âge mûr est, en fait, terrorisé à l’idée de prendre la parole.

Sa fragilité vient de la perte récente de sa sœur, qui était déjà venue des années auparavant au Burkina Fasso, et du départ expéditif et définitif de son fils de la maison familiale. Sans nouvelle de lui, Marie-Odile porte deux deuils à la fois. Dès son arrivée à Ouagadougou à la veille du colloque, elle est assommée par la chaleur, mais surprise aussi par la joie des enfants des rues de la capitale qui lui crient « Nassara, Nassara » (femme blanche).

Dépaysée, fatiguée, elle s’amène au colloque en retard. On comprendra, grâce notamment aux interventions du coryphée (solennelle Stephie Mazunya), que Marie-Odile a très souvent la tête ailleurs. Sa confusion atteindra son zénith lorsque qu’un jeune homme en colère, Ali (Moussa Sidibé), fera irruption dans la salle du colloque armé d’une kalachnikov…

L’utilisation de la vidéo pour ce personnage – le comédien malien s’est vu refuser l’entrée au Canada – n’enlève rien à la violence du drame du choc Nord-Sud qui se jouera devant nous. Jeune homme sensible aimant la lecture, Ali éprouve le besoin de se dire. Il a choisi cette rencontre internationale pour parler de ce dont personne n’a tenu compte jusqu’ici dans sa vie, lui, certainement pas à l’étranger ni même chez lui. En cela, ce personnage peut être vu tel le symbole d’une génération incomprise ou négligée, ce qui n’est pas sans faire penser à nos milléniaux.

Stephie Mazunya dans Nassara, photo: Valérie Remise

Le texte de Carole Fréchette intercale les moments drôles et émotifs, les scènes sombres et un certain suspense de brillante manière. Pour sa part, Sophie Cadieux utilise parcimonieusement les éclairages de Martin Sirois pour souligner certains passages dramatiques ou états d’âme des personnages. La scénographie de Max-Otto Fauteux lui donne l’espace circulaire parfait pour symboliser à la fois le cercle de parole et l’esprit tortueux de Marie-Odile. L’intervention d’un coryphée complète le tableau en commentant l’action ou en approfondissant les motivations ou les sentiments des personnages.

Telle une tragédie grecque, Nassara est un va-et-vient admirable entre l’intime et l’universel. La pièce démontre que l’un et l’autre sont indissociables. Elle porte un message de bienveillance et de compréhension mutuelle qui n’a rien de suranné ou de simpliste. Surtout aujourd’hui au moment où les pays du Nord se tiraillent odieusement au sujet d’une troisième dose de vaccin antiviral, alors que des millions d’habitants du Sud n’ont même pas eu la chance de recevoir leur première injection.


Nassara est présenté au CTDA jusqu’au 25 septembre.