
Le présent essai pourrait s’intituler « Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les Autochtones du Canada et aviez peur de demander ». Ce livre a été écrit par une personne qui a une connaissance étendue et personnelle de la situation de ceux-ci, autant par son vécu propre, car elle est Métis, que par sa connaissance du droit. Chelsea Vowel est en effet enseignante de la langue crie à la Faculté des études autochtones de l’Université de l’Alberta, professeure et spécialiste du droit, en plus d’être la cofondatrice de l’organisme Métis in Space Land Trust.
On sera d’emblée quelque peu déstabilisés par la forme et la stratégie qu’elle privilégie pour interpeler ses lecteurs. C’est en effet assez direct. L’idée semble évidente; il s’agit de s’adresser au grand public et, surtout, de ne pas s’illusionner sur les connaissances que peuvent avoir les Canadien.ne.s et Québécois.e.s sur ce sujet. Qui sont proches du zéro absolu, je dirais, et qui s’alimentent davantage aux idées reçues et aux stéréotypes que peuvent véhiculer médias et personnes peu informées.
Je le conçois, pour ma part, assez aisément. Certes, j’ai lu sur l’histoire des peuples d’ici et j’en sais quelque peu. Mais le statut actuel d’un Autochtone, en termes légaux, et tout ce qui peut en découler aujourd’hui comme réalités concrètes vécues par e.ux.lles ne m’est pas très familier. Pas plus que je ne suis un lecteur assidu des nombreux rapports de commission d’enquête sur le sujet, lectures soporifiques comme il y en a peu! Pourtant, ce sont des lectures essentielles que l’auteure cherche à vulgariser et dont elle veut montrer la pertinence.
Son essai est donc bâti sur ce mandat qu’elle s’est donné. Les chapitres sont nombreux et ils répondent avec verve et entrain aux préconceptions les plus flagrantes, les plus emportées et les plus simplistes que l’on peut avoir entendu sur les Autochtones. De petits moments, de grâce, je dirais, apparaissent dans le cours de cet écrit, où des fenêtres s’ouvrent pour nous rappeler que la manière de faire propre à ces Natifs n’a jamais été pris en compte par les Arrivants du Vieux Monde.
De quoi pourrait donc être fait le cadre légal et juridique qui correspondrait à celui qui était en place avant cette arrivée ? Sans que cela n’ait jamais été identifié en ces termes, il y avait bien une manière de régler les différends dans les ensembles autochtones. Toute société en a une. Mais il a été accepté comme évident que ceux-ci n’étaient pas assez avancés pour que cela puisse exister. Un tel cadre existait pourtant ; il a seulement été déconsidéré, perçu comme étant de valeur inférieure et ne pouvant rivaliser avec le cadre légal issu des sociétés européennes. Si bien que l’intérêt de ce livre ne tient pas seulement à un portrait global de la situation des Autochtones. Il y a des moments, dans ces chapitres, où on en entrevoit des lueurs de ce que ce pourrait être une manière propre à cette culture de s’affirmer et cela est très intéressant.
Il reste cependant que l’essentiel du livre repose plutôt sur une description complète de la réalité quotidienne de ces peuples. L’auteure a une connaissance étendue de cette situation. Métis, Autochtones, Inuits : rien de ce qui compose le vécu de ces gens ne semble lui être étranger. Peu à peu, elle nous conduit à l’ensemble des revendications et vers un relevé historique de celles-ci, au gré des commissions d’enquête. On y voit le portrait des efforts, parfois malheureux et restés sans suite, faits pour remédier à un état de fait déplorable et à des iniquités criantes. À la fin de notre lecture, nous frappe le fait que celles-ci semblent perdurer au-delà de toute raison logique et de toute conscience morale.
On baisserait les bras à bien moins! Mais cela ne semble pas être une tentation très forte pour Chelsea Vowel, car son livre peut alimenter l’espoir de voir les choses changer!
Chelsea Vowel
Écrits autochtones. Comprendre les enjeux des Premières Nations, des Métis et des Inuit au Canada
Traduit par Mishka Lavigne
Éditions Varia, Proses de combat, 2021
374 pages