THÉÂTRE : Comédie noire politiquement incorrecte

Maxime Denommée, photo: Rolline Laporte

Maxime Denommée met en scène Ulster American à La Licorne. Cette pièce de David Ireland, traduite par Français Archambault, fait s’affronter des cultures et des idéologies issues des États-Unis, de l’Irlande et de la Grande-Bretagne. Une triade anglo-saxonne où le machisme et l’hypocrisie forment un couple explosif.

Ulster American de David Ireland est ce genre de comédie où personne ne sort gagnant des dialogues explosifs comme des conflits entre catholiques et protestants. Le dramaturge a beau être né en Irlande du nord, il est d’abord et avant tout « british » et s’élève contre la réunification de l’Irlande tout comme l’indépendance de l’Écosse. Son leitmotiv: « comme écrivain, je veux être socialement irresponsable », a-t-il déjà déclaré au Guardian.

Après avoir lu cette pièce corrosive, le directeur de La Licorne Philippe Lambert a demandé à Maxime Denommée, amateur de comédies noires s’il en est, d’assumer la mise en scène. Le traducteur, le dramaturge François Archambault, connaissait déjà David Ireland. Ils s’étaient traduit l’un l’autre.

« L’auteur a un humour particulier, il s’amuse lui-même dans cette pièce. Dans la première réplique il parle du mot en « N ». Ireland est politiquement incorrect. Il fonce dans les tabous. On rit jaune dans ses pièces. »

Le texte est hilarant par moments, mais le propos des plus sérieux. Le racisme, le nationalisme, le sexisme, le classisme et autre mots en « isme » controversés y sont explorés de fond en large dans des scènes orageuses pour la plupart.

« La question de l’identité est importante dans la pièce, mais ce qui m’a frappé encore plus ce sont les injustices hommes-femmes et le mansplaining ou mexplication. Nous sommes dans une époque où des hommes essaient de devenir des alliés des féministes. L’une des façons est de rire des angles morts du système patriarcal. Les deux personnages masculins de la pièce se disent féministes, mais se contredisent souvent dans la même réplique. »

Ulster American est un portrait grinçant d’hommes de théâtre sur le retour. Un metteur en scène anglais réputé Leigh, (Frédéric Blanchette) reçoit chez lui à Londres un acteur vedette d’Hollywood, Jay (David Boutin) et une jeune dramaturge irlandaise prometteuse, Ruth (Lauren Hartley). Les trois personnages ne sont pas tout à fait ce qu’ils prétendent être et s’ensuivra une foire d’empoigne, au figuré mais pas tant !, qui révèlera la vraie nature de chacun.e.

Lauren Hartley, photo: Thanh Pham

« J’essaie de mettre en lumière le fait que les hommes se disent de grands humanistes, alliés des femmes et de la diversité, alors qu’il s’agit d’une fausse bonne conscience qu’ils se sont forgé. Ils sont tout le contraire, En fait, c’est intéressant parce que le dramaturge David Ireland est Irlandais, mais il se considère comme britannique. Ruth (Lauren Hartley) est son alter ego. Avec ce personnage féminin, on ouvre le sens vers le thème très actuel du patriarcat. « 

Pour la petite histoire, David Ireland s’est inspiré de ses expériences de dramaturge , mais aussi d’anecdotes de tournages impliquant des acteurs américains débarqués en Europe et plutôt mal informés de la situation de l’Irlande face à l’Angleterre. Quelqu’un comme semblerait-il, dit-on dans les profondeurs de l’underground du « tube » londonien, Mickey Rourke…

Tous les personnages ont des ambitions personnelles plutôt cachées afin de s’assurer du succès de la pièce qu’ils préparent. Rien n’est explicite dans ce melting pot anglo-saxon.

« Les deux hommes sont un peu ridicules dans le fond, glisse Maxime Denommée. Ruth, un peu moins. Elle se montre plus intègre et elle est victime des préjugés des deux autres. »

Ruth, toutefois, semble prête à tout faire pour rencontrer son idole hollywoodienne, Quentin Tarantino, si jamais la pièce traverse l’océan pour être jouée à Broadway. En fait, le monde du théâtre est analysé sans complaisance dans Ulster American et ceci inclut les journalistes qui couvrent les arts scéniques.

« La seule chose que j’ai envie de lire de la part d’un critique, c’est une lettre de suicide », lancera un Jay désabusé. Vitriolique, dites-vous ? Le texte déborde de ce genre de perles… noires!

Beau trio

Le metteur en scène peut compter sur le comédien et metteur en scène Frédéric Blanchette pour interpréter Leigh, le flegmatique British,David Boutin, le verbeux américain et Lauren Hartley, dans le personnage de Ruth.

Frédéric balnchette et david Boutin, photo: Thanh Pham

« Quand je fais de la mise en scène, une fois que le texte est bien traduit et que j’ai la distribution parfaite, il ne me reste plus qu’à diriger sans trop me mettre dans les jambes. Ça se fait naturellement. Il faut dealer avec les acteurs évidemment, mais je dis souvent qu’à la limite il n’y a pas de personnages, juste un bonne distribution. Quand David essayait de jouer un acteur intense, je lui disais, pas besoin, tu es un acteur intense. J’essaie toujours de faire le rapprochement entre le jeu et l’acteur ou l’actrice pour ne pas qu’on sente le théâtre. Il n’y a rien que je déteste le plus que de sentir le jeu. Nous faisons de la dentelle avec les comédien.ne.s dans cette pièce. »

Dans le cas de Frédéric Blanchette, le metteur en scène a dit avoir travaillé un certain sens du calme, voire du flegme. Et Lauren Hartley, la recrue parmi les vétérans, ne s’en pas laissée imposer, selon Maxime Denommée, malgré le fait que ce soit son rôle le plus important au théâtre jusqu’ici.

« Elle a vraiment beaucoup d’aplomb et une intelligence du texte. On l’a vue en audition et on savait que c’était elle. La magie opérait dès le début. Elle n’a eu aucun problème à accoter deux acteurs chevronnés. »

Parmi les concepteurs.trices, Maxime Denommée retrouve des complices comme Olivier Landreville au décor, André Rioux aux éclairages, Éric Forget au son et Estelle Charron aux costumes.

L’équipe a travaillé dans le but de maintenir un arc dramatique fort. La pièce se déroule en temps réel… comme un combat de boxe!


Ulster American est présentée à la Licorne du 19 octobre au 13 novembre