
Rare spectacle à avoir eu lieu en zone rouge pandémique l’an dernier, Vers solitaire se poursuit jusqu’au 30 octobre dans les rues du centre-ville. Quatre metteuses et metteurs en scène, quatre interprètes, mais un.e seul.e à la fois face à un.e seul.e spectatrice.teur. Également, un seul auteur et directeur artistique, Olivier Choinière, s’imposant ici en véritablement maître de l’art de la déambulation.
Suivre pendant une heure au centre-ville une prostituée ou un jeune homme qui n’a clairement pas toute sa tête attire les regards. Il s’agit, bien entendu, de personnages imaginés par Olivier Choinière pour plonger le public dans la position de l’arroseur arrosé. Extraordinaire mise en abyme où l’unique spectatrice.teur devient partie d’un spectacle qui n’est pourtant destiné, au départ, qu’à elle ou à lui.
Avec une armée de collaborateurs.trices aguerri.e.s, le directeur artistique de cette production des plus singulières fait exploser la « scène ». Vers solitaire est une superbe mise en écho puisque la ou le participant.e entend, dans son casque d’écoute, des sons, paroles, bruits presque toujours parfaitement synchronisés avec l’activité se déroulant dans les lieux et les commerces croisés sur le chemin.
Mais retournons sur nos pas. En toutes lettres a eu la chance d’assister, disons plutôt de prendre part, à deux de ces déambulations : l’une avec une prostituée incarnée par Élisabeth Sirois et une autre en compagnie d’un jeune déglingué, Maxime-Olivier Potvin.
Même si la bande sonore, qui nous fait entrer dans la tête du personnage, reste la même dans les deux cas, les différences évidentes entre le caractère et la gestuelle des personnages, ainsi que la mise en scène respective de Marie-Ève Milot et de Mélanie Demers dans les exemples qui nous occupent, font en sorte qu’il s’agit à chaque fois d’un tout autre spectacle.
Rumeurs sur la ville
Ajoutons-y la rumeur de la ville, jamais la même au même endroit ou moment, et l’expérience peut prendre une ampleur surnaturelle. Exemple troublant: au moment où l’on entend sur la bande son des passants parler d’un accident où il y aurait peut-être des victimes, l’on se trouvait au métro Place d’Armes où deux véhicules de police étaient étrangement garés tout phares clignotants… Juré, craché!
Vers solitaire c’est aussi encaisser les regards désapprobateurs de passants qui nous regardent suivre une prostituée. Même à deux mètres de distance, ils ont très vite compris de quel commerce il est question. D’ailleurs c’est là le sujet des déambulations : la consommation, voire l’hyperconsommation.
Les hoquets nauséeux entendus à l’oreille se rapporte autant à l’offre de la prostituée qu’au bizarre jeune homme qui se prend pour le rappeur 50 cents. Elle offre ses services jusqu’à épuisement du stock ; il lance des miettes de pain, puis des sous noirs et de faux billets de 100
$ sur son chemin.
La trame sonore joue également avec les mots de manière provocatrice. Ainsi, la Place des arts devient la Place des hommes et des armes… « Je place des armes dans tes t… Wow! c’t’écœurant comme c’est beau… »

On est bien dans l’univers du créateur de Jean dit et du Manifeste de la jeune fille. Tout se vend et s’achète, y compris les âmes, y compris les hommes. La consommation est un monde violent ou malheureusement l’itinérant, entre autres, s’insère comme il peut : « merci beaucoup mon cher monsieur » avec bruit de monnaie tombant dans l’écuelle.
Le public assistant au spectacle en a aussi pour son argent. De réflexions, surtout, pendant et après la déambulation. De questionnements et de remises en question. À savoir qui profite de qui, pourquoi et comment dans cette machine délétère ? À se demander si la ville n’est pas qu’un immense magasin agité, nerveux pour ne pas dire véreux.
Attention, se dit le journaliste paranoïaque au plus fort du parcours, ces gens me regardent et me jugent. Ils semblent savoir ce que je fais et ce à quoi je pense. Ils me voient sourire alors qu’il n’y a rien de drôle à se trouver dans les pas d’une prostituée à la jupe trop serrée ou d’un jeune homme aux gestes de danse suspects…
Certes, après cela, l’on ne saurait retourner sur la rue Sainte-Catherine avec l’insouciance d’autrefois.

Texte et direction artistique Olivier Choinière. Mise en scène Mélanie Demers, Alix Dufresne, Justin Laramée et Marie-Ève Milot. Avec Olivier Aubin, Angie Cheng, Maxime-Olivier Potvin, Elisabeth Sirois. Assistance à la mise en scène Stéphanie Capistran-Lalonde. Conception sonore Jean-Sébastien Durocher Remix et proliférations Larsen Lupin. Composition musicale Éric Forget
Lutherie numérique Alexandre Burton. Costumes Elen Ewing assistée de Fany Mc Crae
Maquillages et coiffures Justine Denoncourt. Accessoires Angela Rassenti. Coordination des locations, équipements et lieux Josiane Lapointe. Direction de production Annie Lalande.
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