
Pour son premier grand rôle au théâtre québécois, la comédienne marocaine chevronnée, Houda Rihani, partage la scène avec le virtuose Éric Bernier dans une comédie noire, Je suis un produit, écrite et mise en scène par Simon Boudreault. Sujet : le marketing. Le public est avisé que le risque d’incendie est très élevé.
Tout se vend, tout doit être vendu. Peu importe le produit, objet ou être vivant, dans une vente de feu, ça chauffe. Simon Boudreault décrit, dans Je suis un produit, un monde dans lequel les histoires deviennent plus importantes que la réalité parce qu’elles font vendre. On les consomme et on se consume.
« Le marketing, dit le dramaturge et metteur en scène, repose essentiellement sur la manipulation des clients. Les médias sociaux ont accentué ce phénomène en démocratisant le marketing. Maintenant, on est tous devenus les agents de marketing de nous-mêmes. On est tous des produits quand on cherche à définir la façon dont on veut être perçu. »
Après Manuel de la vie sauvage chez Duceppe, le spectacle de La Licorne renvoie à cette idée que l’image prime et que tout peut se vendre. C’est la pierre d’assise du capitalisme sauvage où tous les moyens sont bons pour arriver à ses fins.
« Je n’ai pas lu ou vu la pièce de Jean-Philippe Baril-Guérard, mais je crois qu’on parle tous les deux de l’importance des images dans notre société. On se préoccupe de notre rapport aux images, à leur utilisation et aux préjugés. »
Dans la pièce, le patron d’une agence de marketing, Jeff, explique ce point de vue dès le début de la pièce. À l’opposé, le personnage d’origine maghrébine de Jihane n’arrive pas à trouver un emploi au Québec. Mais elle aussi comprendra qu’il faut parfois tordre la réalité et qui on est pour mieux se vendre. Elle dégottera un emploi dans l’équipe de Jeff et deviendra une employée « modèle ».
Les accompagnent sur scène: Alexandre Daneau, Louis-Olivier Mauffette et Catherine Ruelle.
Comédie noire
Simon Boudreault ne se voit pas surtout pas comme un donneur de leçons, mais il aime créer des situations limites avec de l’humour intercalé dans des répliques percutantes. D’entrée de jeu, le personnage joué par Éric Bernier met cartes sur table : « l’important c’est de quoi vous avez l’air ».
» Le propos de Jeff (Éric Bernier) est assez dur. Ce personnage n’a aucun scrupules, il ne se questionne pas et se montre prêt à utiliser des procédés de marketing pour reconquérir son ex. Il est prêt à beaucoup. Il a une vision sombre de la société et il l’assume. Éric donne toute une performance dans ce rôle. Houda, aussi. Elle a une feuille de route extraordinaire, avec plein de de films de séries télé au Maroc. Il est temps qu’on la connaisse davantage. «

À travers des situation poussées presque à l’absurde, le texte aborde certaines des questions de l’heure comme l’immigration, le sexisme, le racisme et les abus de toutes sortes.
» Je brasse beaucoup de choses présentes dans la société en utilisant des revirements constants. C’est très frontal et je m’amuse avec ça. J’avais envie de jouer sur la frontière entre ce qui est dérangeant ou choquant et drôle ou amusant. »
« On est à une époque qui manque de nuances, poursuit-il. On veut des gros titres, on veut que tout se résume en quelques mots. On y va grossièrement bien souvent avec des idées simples, qui frappent. On joue sur les extrêmes constamment. Les personnages sont humains et on le voit dans le jeu, mais ces nuances ne semblent plus exister dans la sphère publique de nos jours. Les visions simplistes n’arrivent pas à rendre la complexité de l’être humain. »
Identité
Et qu’est-ce que cela dit sur les thèmes de l’identité et des valeurs, chers à certains politiciens, de toujours abréger, simplifier, voire mentir pour vendre ?
« Les personnages s’entrechoquent constamment dans la pièce. Nos valeurs, nos idées sont aussi complexes que nous le sommes. Les personnages essaient de se parler et n’y arrivent plus. Ils ont beau vouloir nuancer leurs propos, à chaque fois, un gros préjugé vient frapper. Je veux amener le public à réfléchir en riant. Je crois à la comédie comme vecteur pour amener des sujets aussi explosifs. »
La crise pandémique aura joué le rôle d’un « rond de poêle à broil« , croit-il. Pas besoin, dans ce contexte, d’en rajouter dans la mise en scène ou l’interprétation.
« Toutes mes pièces reposent sur le même principe. Si les personnages se transforment en bouffons ou deviennent caricaturaux, rien ne tient. Mon travail de metteur en scène est de faire en sorte que les acteurs et actrices trouvent l’humanité de leur personnage pour qu’on puisse les aimer, même si on peut aussi les détester par moments. On peut aller dans les excès, mais pas dans la caricature. Il y a une grosse différence entre les deux. »

Je suis un produit est présentée à la Licorne du 23 novembre au 18 décembre