
Tout le monde connaît et/ou a lu à l’école Le petit prince et Jonathan Livingston le goéland. Le deuxième texte a inspiré Jon Lachlan Stewart pour créer Jonathan : La figure du goéland présentement à l’affiche de la salle Fred-Barry. L’auteur et metteur en scène a imaginé un spectacle où les limites sont transgressées par des interprètes typiques et atypiques en recherche d’émancipation. Voler de ses propres ailes!
Jon Lachlan Stewart n’a jamais eu l’intention de transposer littéralement sur scène l’histoire de Jonathan Livingston le goéland une fois qu’il a relu le bestseller de Richard Bach datant de 1970. L’expression de la différence et le fait de voler de ses propres ailes reste important dans sa pièce, mais sans le côté rose bonbon du roman.
» Le roman m’a servi à débuter une réflexion artistique et sociale, mais on s’est concentré sur la relation avec le père qui représente les anciennes manières de penser. On s’intéresse à la tentative de réconciliation avec le père, un peu comme ce qu’on lit dans Hamlet et dans Œdipe. C’est une histoire intemporelle sur ce lieu imprécis d’où on vient, nos origines. »
« On m’a lu le livre quand j’avais dix ans, explique-t-il. Pour moi, cela me ramenait à la relation que j’entretenais avec mon père. C’est un livre sur l’expression de la liberté, sur le fait de se libérer avec une fin heureuse. Aujourd’hui, la vie est plus complexe dans une société divisée à propos de plusieurs enjeux. Il est difficile d’avoir une conversation sensée avec quelqu’un qui n’a pas la même opinion que soi. »
L’auteur et metteur en scène a déconstruit le roman pour créer son spectacle. Le roman est édifié sur des paraboles, mais il n’avait pas envie de tomber dans ces travers. Et surtout pas se limiter au message positiviste du type « quand on veut on peut ».
Trois parties
Le spectacle qu’il a écrit et créé se divise en trois parties. La première comprend des répliques entre personnages ; la deuxième inclut un texte audio alors que les interprètes sont silencieux ; et la troisième est une chorégraphie sans texte avec, faut-il noter, trois artistes au corps atypique.

» La parole disparaît peu à peu parce que je crois que les mots et les discours, politiques notamment, échouent la plupart du temps. Les corps atypiques sont également une déconstruction par rapport aux limites sociales imposées à ces personnes. Mais la pièce n’émet pas d’opinion sur les handicaps ; les interprètes sont là pour raconter l’histoire. »
Dans cette historie remaniée, l’accumulation des faits et leur répétition l’ont davantage intéressé. La façon de raconter est également déconstruite. Comme si toutes les certitudes qu’on croit avoir n’étaient pas si… certaines ni certifiées.
« L’idée n’est pas de présenter un personnage pour que le public le comprenne et le suive à travers des péripéties. On entre et on sort du récit constamment. On le commente et le déconstruit. Je crois que le théâtre est le bon endroit pour semer des contradictions et de l’incertitude. Dans le monde en ce moment, je me sens personnellement très incertain. Il y a un inconfort dans le fait de vivre à notre époque. Tout le monde veut être rassuré, mais cela semble impossible. »
Friable et fragile
Comme si la vie était devenue un gruyère friable, plein de trous et de manques, d’ambiguïtés et et de fragilité.
« En parlant avec le s interprètes, je me suis rendu compte que les prothèses et les béquilles dont ils ont besoin pour fonctionner sont, en soi, des récits, des histoires. Même chose si on est une personne racisée. Cela renvoie à des symboles et à des récits sur ce que nous sommes. Cela a fait partie de ma réflexion. Les personnes atypiques essaient constamment d’échapper au récit que leur corps impose à nos yeux. Ils sont beaucoup plus que cela. »

Rompre avec le passé, les schémas familiaux, les diktats sociaux ou politiques, c’est un peu beaucoup ce qui passe ou casse entre les générations.
« Dans la vie, on veut tous être considérés pour ce qu’on est, être vus comme des individus. Jeunes, on a un côté rebelle. À la fois, nous sommes des individus qui déconstruisons notre identité ou notre communauté, mais ces actions nous définissent aussi. Ce sont des contradictions qui existent en nous et peuvent parfois s’exprimer violemment. »
Identité, uniformité, diversité, exclusion?
« Le public qui assistera au spectacle verra et disposera comme il veut de ces sujets. Nous comptons sur une distribution très diversifiée. On ne l’a pas pensé de cette façon, mais pour certains membres de l’auditoire, cela prendra un sens important. Il y a un côté un peu « tout croche » à la pièce et cela suscitera des points de vue et des réactions différentes. «

Jonathan : la figure du goéland est présentée à la salle Fred-Barry jusqu’au 11 décembre
INFOS: denisepelletier.qc.ca