
Le Farah nouveau célèbre le mariage et la famille. Enfin, pas tout à fait et pas jusqu’au bout non plus. Avec Mille secrets mille dangers, le romancier joue de la narration et des temporalités habilement, même si certaines intrigues auraient pu être développées davantage. Un roman engageant, captivant et aventureux, malgré des dangers pas toujours évités.
Depuis Pourquoi Bologne, en 2013, on attendait qu’Alain Farah nous revienne avec un nouvel opus. On espérait sans doute, sans y penser vraiment, quelque chose d’assez similaire à ce roman surprenant, chevauchant les époques et les genres littéraires. Or, Mille secrets mille dangers tient cette fois plus de la chronique familiale. Mais ce n’est pas dire que sa forme n’est pas aventureuse et aventurière. On commencera, bien platement, par dire qu’il s’agit de relater la journée de mariage d’un certain Alain Farah. Mais, au plan chronologique, tout n’est pas si simple et on ne cesse d’évoluer avec le narrateur d’avant en arrière dans le temps, retraçant les précédents nombreux de ce qui surgit, inopinément, en ce jour faste.
Comme tout un chacun, on ne saurait vouloir autre chose que le nec plus ultra en cette journée. Raison pour laquelle on a choisi, en toute humilité, comme lieu de célébration, l’Oratoire Saint-Joseph. S’y retrouveront évidemment le marié, sa future en Virginie, son cousin et garçon d’honneur, Édouard, le père et la mère du marié et un ancien condisciple de collège qui n’est rien de moins que l’ennemi juré du principal intéressé, Baddredine, dit Bad. Y tiendront aussi une place notable Myriam, meilleure amie de Virginie et Ruby, conjointe d’Édouard.
Une telle journée est évidemment source de stress. Mais cela va plus loin. Les scènes d’angoisse et de douleur que nous offre l’écrivain, sont prenantes. Victime de maux de ventre terribles, et depuis lontemps, le futur se morfond en douleurs et prises de drogues diverses pour apaiser ses malaises. Ces parties sont d’une efficacité stupéfiante. Celui ou celle qui a connu un tant soit peu des moments insomniaques ne peut que compatir. Plus encore, on se reconnaît dans cette mécanique perverse du non-sommeil qui se nourrit à même le désir forcené de dormir. Tellement efficace, le Farah, que je n’en ai pas dormi. C’est dire!
Est tout aussi captivante la formule narrative retenue. En ces allers et venues entre temporalités diverses, la journée finit par ressembler à un condensé de tous les moments significatifs à venir et passés, surtout, ceux du protagoniste principal. Des sections assez laconiques et sèches, où les actants se limitent à être identifiés par la simple lettre de leur prénom, font dans le rocambolesque et le grinçant. Ils reprennent souvent, avec plus d’ampleur et de détails, des histoires dont on a pu avoir une mince idée auparavant et qui touchent à un amour adolescent. Et ce, jamais sans que cela devienne répétitif ou complaisant. De même, l’idée de faire commencer le tout et presque le finir aussi, par une intervention du père, donne de la profondeur à l’ensemble, offre pérennité au récit.
Ce qui commençait cependant si bien me paraît quelque peu perdre de sa force dans la finale. Une ombre plane tout le long du roman, par intermittences, autour du personnage de Bad dont il s’avère qu’invité par Édouard, il va se pointer au mariage de son ex-ami. Il y a là une sorte de crescendo qui tombe un peu à plat quand arrive ledit Bad, et pas seul en plus (je n’en dis pas davantage!). On peine à croire que le narrateur se soit mis dans un tel état quand il appréhende cette arrivée qui ne déclenche rien de très spectaculaire. Quelque chose se résout là dans une certaine précipitation et le lecteur se sent floué d’un éclat attendu ou d’une explication plus convaincante à cette animosité si soudainement évaporée.
Fin de parcours
Dès lors, on se met à tout relever. On se demande, à la fin de ce parcours, ce qu’il en est d’Édouard. La finale se passe en effet quelques années plus tard alors qu’Alain et sa femme sont terrassés par une perte tragique. Si cette fin est motivée par la gravité de la situation, on se demande tout de même si cela devait clore ainsi. En bref, disons qu’on en vient à s’interroger sur des pans oblitérés du roman. On se met alors à en faire le décompte.
Nous sont relatés, de deuxième bouche, dirait-on, des épisodes qui auraient mérité d’être mis en scène et développés : une crise particulièrement inquiétante du narrateur alors qu’il était encore au secondaire. Sa situation médicale s’était, en effet, cruellement aggravée et ses parents n’avaient rien vu arriver, tout entiers occupés à se déchirer. De même, ces moments intenses d’une séparation difficile, refusée par une épouse déchaînée, auraient pu avoir meilleur sort, tant on sent qu’ils ont quelque chose à voir avec les angoisses du narrateur. On en retient une impression pénible et on comprend la retenue affichée par le récitant. Mais quand on décide de se livrer à une chronique familiale, la pudeur, j’imagine, ne peut être de mise!
Malgré ces bémols, le roman est engageant et ajoute une pierre à l’édifice d’une œuvre encore en devenir.
Alain Farah
Mille secrets mille dangers
Le Quartanier, 2021
512 pages