
Nadia Myre, Eyes watching and other work, vue d’ensemble, photo: Mike Patten

Karine Giboulo, Ma Maison de plain-pied, vue d’ensemble, photo : Mike Patten
Encore trois jours pour aller voir les magnifiques nouvelles œuvres de Nadia Myre et de Karine Giboulo à la galerie Art mûr. Des pièces poignantes et grinçantes.
On peut avoir tendance à l’oublier, mais une visite nous ramène à la réalité des espaces d’Art Mûr. Cette galerie a une facture qui rappelle celle des centres d’artistes de Montréal, avant qu’ils aient pour la plupart adopté des locaux à l’allure plus léchée et un rien aseptisée. En plus, il y a la dimension. Ce sont plusieurs étages d’œuvres d’artistes divers qui nous y attendent toujours. Accueilli à l’entrée par des œuvres de Neil Harrison et une sculpture en réalité virtuelle de Samuel Arseneault-Brassard, le spectateur rejoint par la suite l’espace du fond pour admirer les travaux récents de Nadia Myre. On se limitera ici à ceux-ci et à d’autres, logés au deuxième étage, de Karine Giboulo.
Nadia Myre
Une série attire principalement l’oeil, alors que l’on prend pied dans l’espace réservé aux travaux de l’artiste d’origine algonquine. Devant nous, une lignée d’images, une quarantaine, défile jusqu’au fond de la galerie, tournant même le coin. Toutes de même taille, elles montrent des mocassins perlés sur un fond plutôt sombre et quelque peu miroitant. Elles varient en détails car ces couvre-pieds proviennent de tribus nord-américaines différentes. Ceux-ci sont les éléments d’une collection appartenant à la collection du Smithsonian’s National Museum of Natural History de Washington.
Cet aspect sériel est frappant. Dans le contexte qui est le nôtre, à voir ces mocassins débout, à la verticale, on les pressent comme les reliques de cadavres, pieds légèrement tanguant vers le sol, comme peut le faire un corps relâché. Il se pourrait bien qu’il se présente à d’autres comme une invitation à les chausser, comme s’ils nous attendaient au pied d’un lit. C’est évident impossible puisque ce sont des artefacts d’un passé révolu. Nadia Myre les a auréolés d’une teinte violette, qui est celle usitée des Wampuns, collier et ceintures de perles taillés dans le nacre des palourdes, objets servant aux ententes, représentant et scellant celles-ci. Se pourrait-il que cela suppose que ces ententes sont, elles aussi, à sauvegarder comme des artefacts lointains, sans réel impact sur le présent?
Chose certaine, la présentation en série trahit un désir d’observation rationnelle, détachée d’affects. Mais l’utilisation de cette modalité de présentation dans un cadre artistique a l’effet contraire. Il y a quelque chose de poignant dans cet effort de rationalisation, qui couvre mal le traitement odieux subi par ces nations dans le contexte colonial que l’on connaît et dont on ressent encore les effets.

Karine Giboulo
Le deuxième étage de la galerie accueille les travaux récents de Karine Giboulo. L’artiste est une fine observatrice de nos mœurs. À ses yeux, nous apparaissons en groupe, sorte de bétail social apte à être conditionné. Mais il y a là aussi de l’empathie, une sorte de tendresse amusée, bien que critique, devant nos comportements appris. On le sait, l’artiste affectionne la technique de la miniature, reprise dans un cadre de diorama. Des figurines sont ainsi campées dans toutes sortes de situations créées qui reflètent nos agissements commodifiés, notre obéissance à des normes incitant un comportement de plus en plus influencé par la consommation.
Des installations nombreuses, miniaturisés, montrent l’humain en différents états. Ne décrivons pas trop pour sauvegarder l’effet de surprise. Mais sachez qu’une partie de la salle de bains est à l’honneur dans une des œuvres. Une planche à repasser sert aussi de cadre à une saynète décoiffante. Une scène de pêche aussi vaut le coup d’œil. Assez grinçante, merci!
Il est intéressant de voir comment notre état actuel sous pandémie a su nourrir l’imaginaire de l’artiste. Ce triste moment de notre contemporanéité s’accorde si bien à ses préoccupations, après tout! C’est un tel révélateur. La série intitulée Ma Maison : Conserve, chaque pièce numérotée, fait défiler de petits personnages simplement identifiés par leurs vêtements, et placés sous bol de conserve, ainsi protégés. Ils le sont encore plus par ce masque qu’ils portent, dont on connaît si bien l’allure et la couleur aujourd’hui. Nous sommes cette humanité affligée par cette mise en conserve, préservée pour la continuation de notre course vers un avenir bien hypothétique.
Une autre œuvre est aussi bien savoureuse. Elle montre à nouveau des personnages masqués, à la cordée dans une file d’attente qui les conduit vers un étal de produits nourriciers. Celui-ci est logé dans une ouverture découpée dans un de ces sacs que nous connaissons, car nous les amenons avec nous faire semblable épicerie. Là, aussi, on sait s’identifier à une scène familière, car nous nous sommes pliés à pareille obligation, il y a peu. Et, variant Omicron oblige, il n’est pas dit que nous ne le ferons pas encore sous peu!
Bref, en ces derniers jours de 2021, alors que la galerie fermera bientôt ses portes pour Noël, allez voir ces expositions présentées chez Art Mûr! Ce ne sont là que deux des présentations à être offertes en ces lieux jusqu’au 18 décembre!

Nadia Myre, Eyes watching and other work, Galerie Art Mûr, du 11 novembre au 18 décembre 2021
Karine Giboulo, Ma Maison de plain-pied, Galerie Art Mûr, du 11 novembre au 18 décembre 2021