ARTS VISUELS : Les glaces du souvenir

Ils sont de plus en plus nombreux les centres d’art et de culture de qualité à ouvrir un peu partout sur le territoire du Québec. Quittant Montréal en passant par la 20 pour aller vers la capitale, le voyageur a peu d’opportunités pour visiter des expositions d’art actuel. Passé Saint-Hyacinthe, on compte sur le doigts ces occasions. Mais la région du Centre-du-Québec s‘anime maintenant grâce à l’implication d’acteurs voulant offrir de ces lieux au public. On connaît la Fondation Grantham pour l’art et environnement à Saint-Edmond-de-Grantham. Il faut y ajouter le Carré 150 de Victoriaville qui réunit des équipements pour la salle et l’art de qualité, dans un écrin des plus attrayants.

Dans les murs de cette nouvelle institution, érigée en 2015, on retrouve le Centre d’art Jacques et Michel Auger, ainsi nommé en l’honneur de frères entrepreneurs, quincailliers prospères devenus philanthropes convaincus. La galerie jouxte l’entrée du centre et, ainsi située, elle représente un pont d’escale pour ceux qui viennent voir un spectacle dans la grande salle. Ces jour-ci, et ce jusqu’au 12 février, c’est Reno Salvail qui y offre son Renaud. On se dit alors, au vu du titre, que ce voyageur, qui nous a habitués au récit et traces de ces périple d’aventurier, va nous prendre pour confident et se faire plus intimiste. Certes, il le fait en cette présentation même si ce n’est peut-être tout à fait comme nous l’attendions.

Pour les besoins de la présente exposition, la vitrine de la galerie donnant sur l’entrée, a été assombrie pour laisser toute latitude aux projections qui occupent les murs. Celles-ci sont au nombre de trois. En elles, se déplacent des blocs de glace sur un fleuve apaisé. Au centre, deux chaises nous invitent à approcher un socle sur lequel trône un haut parleur. Cela est d’autant plus attirant qu’une lumière accompagne la voix qui s’en extirpe, suivant les inflexions de ce qui nous y est raconté.

Cette voix, c’est celle d’un homme âgé, qu’on apprend être le père de Reno. Elle est faible, enrouée, fragile et dénote fatigue et vieillesse, et peut-être même maladie. Le récit qu’elle livre est court, sans faconde ni effet dramatique. Il s’agit de raconter un souvenir qui hante la mémoire et le cœur depuis longtemps, celui de la mort d’un cousin, lui aussi prénommé Renaud. Le récit original dure une heure et il résulte du désir de Reno de garder une trace de son père. Il lui demande de raconter quelque chose de significatif. C’est une histoire lointaine qui devient le motif principal de cette exposition.

Pêche fatale

Dans son jeune âge, Laurent Salvail avait amené son cousin à la pêche en l’absence du père de ce dernier. Après une longue journée passée à taquiner les poissons, Renaud s’est trouvé trop fatigué pour revenir de lui-même à la maison et Laurent a dû le porter. Harassé, il s’est au retour couché pour ne plus se relever. Le père du garçon a alors tenu Laurent responsable de cette mort. Il faut dire que le petit Renaud souffrait de tuberculose, tout comme sa jeune sœur qui l’a, peu de temps après, suivi dans la mort.

Cette histoire nous est narrée assez succinctement car il n’en a été gardé que quelques minutes. Elle en vient pourtant à nous hanter car des bribes sont reprises dans la bande sonore qu’en a tirée Reno Salvail. Il émane du ton hésitant et voilé du père, de son vocabulaire sans effet notable, de sa retenue et de ses hésitations, un certain pathos qui n’est pas sans grandeur. La luminescence qui provient du haut-parleur est un battement qui rythme le tout, un souffle encore vivant qui souffle sur les braises du souvenir.

Le projections qui accompagnent ce récit, montrent des glaces qui s‘effilochent quelque peu. Sous la surface, d’autres se profilent comme des ombres et des restes de morceaux plus massifs. Des choses profondes nous animent tous depuis l’enfance. La mouvance du souvenir, ce qui se cache et se révèle à des moments inattendus, est tout entière là.


Reno Salvail, Renaud, Centre d’art Jacques et Michel Auger, Victoriaville, jusqu’au 12 février. Le Passeport vaccinal n’est pas requis pour la visite des expositions.