ARTS VISUELS : La nuit, tous les cerfs sont gris

Vue de l’exposition Nightlife au mont Pinacle d’Éliane Excoffier. Crédit photo : Laurence Grandbois Bernard. Courtoisie : Adélard, Frelighsburg.

Éliane Excoffier est, depuis quelques années maintenant, résidente de la région de Frelighsburg. Une de ses connaissances, membre de la Fiducie foncière du mont Pinacle, a évoqué avec elle l’idée d’élaborer un projet sur le site préservé sur ce mont. Il n’en fallait pas plus pour que le projet prenne forme et que le Centre Adélard, de plus en plus incontournable dans la région comme dans le monde des arts visuels au Québec, se joigne à l’aventure de Night Life au mont Pinnacle.

Le projet a quelque peu entraîné l’artiste hors de sa zone de confort. Éliane Excoffier privilégie habituellement un travail de mise en scène assez minutieux, la représentation du corps féminin étant, entre autres, au coeur de séries passées. La saisie de scènes d’intérieur, elles aussi soigneusement pensées et conçues, résulte dans des séquences où des éléments construisent une suite à la narration singulière, ouverte aux interprétations multiples mais dans un cadre savamment établi.

Or, ici, nous sommes plein extérieur. Car l’idée de base de ce projet était d’installer des caméras de surveillance en des sites choisis, avec déclenchement par senseur, de manière à surprendre les animaux en pleine action. Au final, ce sont 10 images qui nous accueillent lors de notre randonnée dans le plus petit sentier aménagé des deux disponibles sur le site aménagé. Un effort a été fait, dans les limites du possible, pour que ces clichés sur grands panneaux nous soient proposés près des lieux où l’image a été prise. On comprendra aisément que nous sont offertes des saisies sur le vif, à des moments où les membres de la faune locale viennent boire aux points d’eau, par exemple, aux heures où le jour se prépare soit à poindre, soit à tomber. Cela correspond bien à leurs us.

Le parcours se prolonge avec 6 autres stations au sein du village; et ce, grâce aux bons soins d’Adélard. Ce sont des panneaux situés, entre autres lieux, sur les murs de la grange du centre, au sein de parc, devant l’ancienne Grammar School, abritant boutique et centre d’art. Dans une salle de ce dernier endroit, une pièce nous attend, seule vidéo de cette ensemble d’images.

Dans les bois, ce sont cerf spectral, pékan, renard furtif (on dirait des noms de scout!) qui nous accueillent. Le filé des images, la surexposition due au déclenchement du flash infrarouge; tout est là pour nous donner une impression de furtivité, de photos volées, prises à l’insu des victimes. Cela attise, allume notre curiosité. Dieu sait que nous pouvons être à l’affût lors de telles randonnées. Dieu sait que nous voulons en savoir plus sur ces êtres qui habitent eux aussi notre monde. On conçoit aisément combien la démesure humaine les menace et il se peut bien, parfois sinon souvent, que cette curiosité devienne tout autant disruptive et menaçante.

Mais ici, la photographe nous donne à voir ce qui se dérobe, ces êtres qui transitent, traversent, habitent, se repaissent et s’abreuvent en ce site préservé. Toute l’entreprise a résulté en 11,000 clichés qui seront d’ailleurs tous fort utiles aux administrateurs de la Fiducie. Car ils veulent évidemment en savoir plus long sur la fréquentation animale des aires. Comme quoi la collaboration entre artiste et membres de cette fiducie n’est pas à sens unique et vient bénéficier à tous, les spectateurs étant inclus dans ce lot.

Dans le village, la grange d’Adélard exhibe sur ces murs un défilé de dindons sauvages. Près du centre d’art, un panneau de bonnes dimensions déploie une panoplie de clichés qui évoquent une planche-contact de photographe, babillard servant à faire le tri des bonnes images! Au deuxième étage du centre, dans une petite salle, l’on peut s’asseoir et visionner une bande-vidéo de quelque 10 minutes. Le mouvement n’est plus une saisie brusque, capture abrupte mais défilement, parade des animaux qui semblent presque pavoiser.

Cette collaboration, au sein d’un village, entre une artiste, deux centres d’art et une fiducie forestière est certes à saluer. C’est un geste symptomatique, assez représentatif de ce qui se passe au Québec en ce moment, alors que des initiatives artistiques trouvent le moyen de s’intriquer au quotidien des communautés. Un art de vivre et de sentir, nourri de ce que les artistes peuvent apporter à la société, est ici à l’oeuvre. Vous avez jusqu’au 9 octobre pour en faire l’expérience, galvanisés par l’air frais d’une forêt qui montre son éveil en images et en présence.Il est seulement dommage que cela ne soit accessible que les fins de semaine. Mais on comprend que l’organisme a le souci de préserver les lieux dont ils ont la responsabilité!


Éliane Excoffier, Night Life au mont Pinnacle, Frelighsburg, jusqu’au 9 octobre