THÉÂTRE : Une fille en art

Amélie Dallaire et Sébastien David dans Une fille en or, photos : Jessica Garneau

La pièce Une fille en or de Sébastien David, qu’il a écrit, met en scène et dans laquelle il joue, est un rêve éveillé où le grotesque côtoie la poésie, le tragicomique et la métaphore dans un déploiement imaginaire impressionnant. Avec la comédienne Amélie Dallaire, le dramaturge-metteur en scène-interprète s’amuse à nous faire voyager au-delà du réel.

Avec ses crises, ses dangers, ses maladies et ses violences, un traitement réaliste n’attirait pas Sébastien David (Dimanche napalm) dans l’écriture de sa nouvelle pièce. Une fille en or c’est donc du « théâtre théâtre ». Ni documentaire, ni réaliste. Un univers en soi, onirique et métaphorique, où la dite fille se demande d’ailleurs : « est-ce que je suis une métaphore ? »

C’est un spectacle luxuriant qui utilise la vidéo, les manipulations de voix, avec deux interprètes et huit personnages. Entre chaos et cosmos, Sébastien David ausculte le cœur de femmes fragiles, troublées, incomprises pourrait-on dire. Le dramaturge y aborde aussi, en filigrane, l’acte de la création théâtrale.

« C’est ma lettre d’amour au théâtre qui a représenté un espace de liberté créative durant la pandémie. J’avais envie d’aller dans la fable et le conte. Dans ma démarche, il y a un avant et un après Une fille en or. J’ai pu réaliser plein de fantasmes comme créateur en étant à l’écoute de ce que je suis », confie Sébastien David en présence de la comédienne Amélie Dallaire.

Dans cet univers particulier, quatre-filles-en-une (celle du titre, la fille en terre, la fille en double et une autre en pixels) se métamorphosent. Il en émane un parfum de drame et de mystère, d’ingénuité et de poésie. La structure narrative simple – un narrateur, un tableau – permet au texte de s’envoler vers des sommets d’imagination.

Le public assiste à la naissance des filles en question, à leur vie et à leur mort… qui se veut aussi renaissance! Une relation mère-fille – en pixels – apparaît dans le récit, parmi les moments les plus émouvants de la pièce.

« Pour moi, c’est le point sensible du spectacle, note le dramaturge. Internet, on peut s’y réfugier, mais c’est aussi une métaphore de la vie. Avec le métavers qui s’en vient, on vivra l’expansion de nos réalités. »

« La technologie n’a rien de plaqué dans la pièce, raconte Amélie Dallaire, elle qui est aussi dramaturge et metteure en scène. Ça fait plus de deux ans qu’on y travaille. On a fait des labos et dès le début, tous les concepteurs.trices étaient présent.e.s. C’était une vraie création in situ de ce point de vue. »

Improvisations

À partir d’un canevas de base mettant en scène divers personnages féminins, les artisans du spectacle ont improvisé en laboratoire avant d’en arriver au texte. Cette façon de travailler particulière a été rendue possible, notamment, par l’ouverture d’esprit de la compagnie de création, le Théâtre du Double signe de Sherbrooke, où la pièce a été créée l’an dernier.

« Au début, je prévoyais de 6 à 8 filles, indique Sébastien David. Tout ce que je demandais à Amélie c’était d’être dans le moment présent. Je la dirigeais au micro. Je ne voulais pas jouer dans le spectacle, mais mes commentaires devenaient intéressants et on les a gardés. Après quatre jours seulement, on a fait un enchaînement d’une heure 40 minutes qui ressemble, en son essence, au spectacle final. C’était un processus très organique. »

L’impro ce n’est pas donné à tous et toutes au théâtre. Quand Amélie Dallaire prépare ses propres spectacles, il n’y en a pas. Elle avoue, toutefois, avoir adoré l’expérience. Sébastien David sortait également de sa zone de confort en travaillant ainsi sans filet.

« J’étais un peu terrifié, dit-il. Je suis un metteur très préparé habituellement que je monte mes textes ou ceux des autres. Je fais beaucoup de recherche, j’écoute de la musique. Je me gorge comme un bourgeon et j’arrive en répétition rempli d’idées. Là, il n’y avait rien. C’était un peu troublant. Mais je le referais en prenant encore plus de risques. « 

« Je n’ai jamais eu à apprendre autant de texte, poursuit à son tour Amélie Dallaire. De passer de l’improvisation au jeu me faisait peur. Je devais ressentir de nouveau la liberté vécue en improvisation. « 

Certaines impros sont restées dans la version finale, comme celle de la fille en double, autrice de théâtre qui raconte une pièce qu’elle écrit.

« J’ai demandé à Amélie de me raconter la prochaine pièce qu’elle pensait créer, explique Sébastien David. Je l’ai enregistrée puis j’ai tout recopié et c’est resté tel quel dans le spectacle. Avec sa permission bien sûr. Plusieurs thèmes se recoupaient avec le côté organique et le chaos évoqué dans Une fille en or. »

Le roi en or

Le mythe du roi Midas faisait partie de l’inspiration de départ. Parmi les nombreuses versions de cette histoire, le dramaturge a choisi un passage où le souverain transforme sa propre fille en or. Dans ses explorations, il a également lu des textes du poète romain Ovide et du philosophe français Luc Ferry.

Un souffle philosophie et poétique traverse d’ailleurs le texte qui emprunte, cependant, la langue commune de tous les jours. D’un autre côté, le son accorde aux voix des nombreux personnages des caractéristiques uniques, ce qui permet de les différencier lors des diverses métamorphoses.

« C’est comme un masque sonore, note Amélie Dallaire. Quand je fais les quatre personnages, il y a ma voix au naturel, une qui est plus grave, une autre aigüe et une plus déprimée. C’est très plaisant, comme actrice, de pouvoir travailler là-dessus. Sébastien m’a mis en confiance dès le départ. Et en impro, j’ai pu redécouvrir la base de ce que veut dire jouer. »


Une fille en or est présenté à la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier du 6 au 24 septembre.