
Après Vous êtes animal de Jean-Philippe Baril Guérard, voici un autre spectacle traitant de l’origine des espèces, Sur l’apparition des os dans le corps de Gabriel Plante. Là où la première pièce commentait l’actualité et notre perception de la vérité, la deuxième y va de considérations davantage philosophiques au sujet de l’humanité.
L’université de Rimouski a récemment demandé au dramaturge Gabriel Plante de présenter une conférence sur Rabelais. Il est vrai que l’auteur québécois a adapté l’œuvre du libre-penseur de la Renaissance avec succès en 2018 au Théâtre Denise-Pelletier dans Prouesses et épouvantables digestions du redouté Pantagruel. Le dramaturge déploie également un certain humour rabelaisien dans ses textes.
» Il y a un mélange d’humour et de science, ainsi qu’une volonté forte d’aller trouver quelque chose d’essentiel dans les relations entre les gens, décrit-il. La science peut servir à explorer nos émotions aussi. Je reconnais l’influence de Rabelais dans ce sens, en tout cas. »
Sur l’apparition des os dans le corps réunit encore une fois les membres de sa compagnie Création dans la chambre : Félix-Antoine Boutin à la mise en scène, Odile Gamache à la scénographie et Julie Basse aux lumières. Cette proximité, voire fraternité, permet de fouiller en profondeur les questions existentielles abordées ici.

» On essaie de retrouver ce qui constitue l’essence de nos rapports humains. Le récit parle d’un couple qui se fracasse, mais c’est aussi une métaphore de la société. On a beaucoup travaillé cet aspect. On n’est vraiment pas dans un théâtre qui a réponse à tout. On est plus dans l’abstraction. En fait, la compréhension n’est pas nécessairement le premier critère pour apprécier nos pièces. La condition humaine c’est de ne pas toujours savoir ce qu’on fait, je crois. Les personnages de la pièce développent des outils pour essayer de saisir ce qui se joue entre eux. »
Dans le » fouillis immémorial » décrit dans le texte, les os représentent ce qui reste le plus longtemps d’humain après notre disparition, bien après la’effacement de la peau, des fluides et des viscères… pour évoquer crument Rabelais.
» Mon prochain projet traite du mythe de Sisyphe. Il y a vraiment un lien entre sa roche et les os avec la sédimentation. En lisant sur l’évolution, je me suis rappelé que les os sont apparus après des millions d’années de vie sur terre. Les os ne sont pas fondamentalement à la base de la vie, mais ce paradoxe dans la quête des personnages renouvelle le sens à mon avis. «
Identité
C’est l’identité autant des individus que des groupes qui intéressent finalement le jeune dramaturge. Les fractures au corps font moins mal que celles de l’âme quand un couple rompt. Mais tout cela implique une certaine violence, excès on ne peut plus humain.
» J’essaie d’établir dans la pièce un parcours émotif, dans le fond, qui part de l’animal qui regarde vers le ciel et navigue à vue pour en arriver à l’invention de la science qui vient calmer le jeu en nous permettant de comprendre. Dans tout ça, je me demande aussi comment on gère la vérité avec des idées humanistes à la Leonard de Vinci. «
Le texte lui-même, poétiquement et autrement, tente de retrouver ce qui pourrait s’apparenter à une base solide, une vérité indéniable. Bien que cela n’existe probablement pas, c’est la recherche qui compte, le périple et la transformation que cela suppose.
» Comme chez Rabelais, encore une fois, c’est une quête de la substantifique moelle. Je me demande si, dans le fond, on ressent de moins en moins de choses à mesure que l’on accumule les expériences et les informations. Existe-t-il une limite à être ému, comme personne et comme société aussi ? «

Mise en scène
Création dans la chambre travaille de façon atypique dans un certain esprit d’ » horizontalité « , chacun.e ayant son mot à dire dans le processus de création du spectacle. Gabriel Plante assiste notamment aux répétitions impliquant les interprètes Amélie Dallaire et Gabriel-Antoine Roy.
» Félix est super patient quand il travaille, alors que je voudrais toujours couper dans le texte. C’est agréable d’agir en toute confiance comme ça. On prend plein de risques dans ce spectacle et on les assume. Ce qu’on propose, en fait, c’est une sorte de stand-up avec de la magie et de la science. Tout ça n’est surtout pas à prendre au pied de la lettre. On a des intuitions, mais, dans le fond, on ignore ce que ça donnera. «
Le choc des idées dans le groupe fait en sorte que le texte devient une « incitation à travailler « . Ce qui nécessite, on le comprendra, du temps. Gabriel Plante a commencé à écrire la pièce quand il était encore à l’École nationale de théâtre dont il est sorti en 2015. Il a ensuite pu effectuer plusieurs résidences d’écriture, dont une au Musée des beaux-arts du Canada à Ottawa.
» En me promenant dans la réserve, la restauratrice m’apprenait que même les œuvres contemporaines font l’objet de restauration. Je trouvais que ce mouvement constant parlait aussi de la pièce. J’ai vraiment l’impression que c’est la pièce qui m’a accompagné plus que le contraire. »
Sans jamais tomber sur un os, pourrait-on ajouter. Même si faire fausse route fait partie de la démarche artistique de Gabriel Plante et de Création dans la chambre.

Sur l’apparition des os dans le corps est présenté au Prospero du 24 janvier au 11 février