ARTS VISUELS : L’œil sensible de Charles-Frédérick Ouellet

Landfall, photos: Charles-Frédérick Ouellet

Photographe, et désormais vidéaste, Charles-Frédérick Ouellet entre dans l’oeil de l’ouragan Ida avec Landfall. Une exposition sensible et intelligente présentée au Centre de création et de diffusion en arts médiatiques La bande vidéo à Québec.

Charles-Frédérick Ouellet est un photographe à qui l’on doit les séries Le Naufrage, The Fur Trade devenu To Winter There et Entre fleuve et rivière, réalisé avec Christophe Goussard. Projets en galerie, présentés lors de rencontres internationales ou sous le mode de livres, ces séries se déclinent en des successions d’images qui voguent entre une référence précise ou évanescente, suggérée par le titre et l’actualité. Celle-ci peut être de nature plus personnelle, comme Coexistence, un projet en cours, ou avoir une portée internationale, tel Le vent a tourné, aussi en cours, alimenté par la guerre en Ukraine.

Souvent en ces réalisations, les images en réfèrent, de manière parfois subtile, parfois plus directe, à un événement passé ou toujours en cours, mais sans que celui-ci soit nécessairement réellement convoqué dans les lieux de présentation. Ce sont ces traces, ses effets lointains, qui peuvent s’activer dans le temps comme dans l’espace, qui intéressent Charles-Frédérick Ouellet. La démarche tourne en fait autour de questions pressantes pour l’artiste, comme pour nous, subséquemment. Comment se confronter au réel? Comment vivre à la hauteur de ce qui arrive aux humains? Et, dans le cas présent, comment vivre à hauteur de catastrophe?

Dans le cas présent, il s’agit d’un événement météorologique extrême dont il cherche à rendre l’exacte et triste teneur. L’ouragan Ida, pourtant né d’une simple onde tropicale dans l’Atlantique, a fortement éprouvé la Louisiane et ses terres marécageuses en 2021. Au contraire d’autres séries, où les traces laissées par un événement dans nos mémoires, nos représentations de celui-ci, de ses effets, tiennent lieu de l’événement comme tel, une place importante est ici aménagée pour l’exhiber. Cela se fait, et c’est un peu nouveau aussi dans la pratique de l’artiste, par la vidéo.

On a donc affaire à une présentation en trois blocs. Un premier offre des images, au nombre de sept, qui épousent une forme qui évoque le maelstrom que l’on verra se former dans le bloc central. À l’autre extrémité de la galerie, qui a une forme allongée propice à ce que l’artiste montre, l’on voit des images vidéographiques qui pourraient être des œuvres photographiques, tant elles ressemblent à ce que Charles-Frédérick Ouellet a pu réaliser dans le passé. Au premier regard, on ne sait trop parfois, si elles sont fixes ou animées. Il y en a une vingtaine et chacune occupe l’écran pendant quelques 10 à 20 secondes. La séquence a été pensée pour offrir un flux narratif efficace. La durée de présentation de chacune, la mise à la suite, l’enchaînement des images : tout est là pour soutenir l’intérêt.

Le déroulement ainsi créé demande un œil qui interroge le sens des images et leur facture esthétique. Cet équilibre entre l’impact artistique et le souci de dire et montrer est une préoccupation constante, un brin inquiète peut-être aussi, pour cet artiste. Ici, on retient notre souffle devant un fil réussi alors que des extraits en travelling succèdent à des plans fixes où l’onde d’une eau enfin tranquillisée trahit l’image vidéographique. Tout ce qui nous est montré semble encore trembler, brinquebaler, ruines traumatisées par le passage du cataclysme, dans cette remémoration pantelante, activée par la saisie vidéographique.

Au centre                                                              

Le bloc central est la pièce la plus prégnante de l’ensemble. Il l’est par sa dimension et la réalité de ce qui y est exhibé. Il s’agit d’images trouvées, volées sans doute à l’internet et à d’autres sources, où se développe finalement l’événement comme tel. Cela commence par la formation en ouragan de l’onde tropicale dite Ida, mouvements furieux de vortex se modulant en spirale. Puis, suivent vents et fureur de la nature. On y voit peu mais on devine le déchaînement des éléments, d’autant plus qu’une bande sonore nous plonge en pleine action destructrice. Nous sommes nous-mêmes littéralement engagés dans un chaos qui se décline en plusieurs moments, tous plus forts les uns que les autres. La facture des images est ici différente, mais elle s’insère dans la trame de ce que nous voyons devant nous, dans ces trois ensembles.

Le bloc des sept images à notre gauche exige que nous nous approchions et quittions quelque peu, du fait, le champ de bataille de l’ouragan. Nous faisons, là aussi, retour sur l’événement. On y revoit l’œil de la tornade en préparation, quelques arbres dénudés au-dessus de champs dévastés. Mais surtout on y contemple quelques images qui isolent des faits plus singuliers; elles montrent, entachées par une intervention sur leur vernis, certains quidams qui sont à ranger dans le camp des victimes. Il y a peu de ces photos dans les séries antérieures de l’artiste. Mais c’est significatif. Les dommages causés ne sont pas que matériels; ils agissent, délétères et souffrance, dans le coeur des hommes et des femmes qui vivent en ces lieux. Telles qu’elles sont constituées, les photos les révèlent et les cachent à la fois. Car ces gens sont tous et chacun et pourraient éventuellement être nous aussi!

Avec Landfall, Charles-Frédérick Ouellet continue une œuvre sensible et songée, qui nous révèle notre monde tel qu’on ne désire pas toujours le voir. Mais il fait œuvre nécessaire en ce faisant !


Charles-Frédérick Ouellet, Landfall, La Bande Vidéo, Québec, jusqu’au 12 février