ARTS VISUELS : Inframonde insondable infini

Restitutif, 2022, Ed. 1/1, Impression au jet d’encre, 107 x 173 cm, photo: Guy L’Heureux

Nous n’avions pas vu d’exposition individuelle de Nicolas Baier à Montréal depuis Astérismes en 2016. Des projets d’oeuvres s’intégrant à l’architecture et d’art public, comme nous l’apprend son site, l’ont sans doute bien occupé. Qu’à cela ne tienne, la présente exposition nous permet de rattraper le temps perdu grâce à un ensemble divers dont on ne peut ici donner qu’une petite idée.

Une exposition de Nicolas Baier est toujours attendue. Car on sait qu’elle sera source d’étonnement et d’émerveillement devant la créativité, l’imagination et la cohérence qui s’imposeront, assurément, en chaque pièce.

Mais elle sera aussi pour le critique, source d’embarras. Je suis placé devant un certain dilemme. Faudrait-il se livrer à une description méticuleuse des œuvres, elles-mêmes souvent réalisées avec un soin extrême sinon maniaque? Va-t-on plutôt se rabattre sur l’intention, souvent madrée d’un penchant assumé pour la spéculation scientifique et l’illustration de ce que lesdites sciences tendent à nous suggérer? Bref, je me sens un peu piégé. Prenons pour simple exemple de cet embarras une pièce bien connue, absente de cette exposition cependant, Rayonnement fossile, qui s’appuie sur une hypothèse scientifique voulant que le Bigbang ait émis un rayonnement électromagnétique, signal homogène qu’il est encore possible de capter aujourd’hui. Et, semble-t-il, de transposer dans le champ de l’art.

C’est que Nicolas Baier est l’équivalent d’un modélisateur égaré dans le mode artistique. D’une part, notons combien ses œuvres portent la marque des moyens mis en action pour arriver à la réalisation attendue. On ne trouve plus en celles-ci la trace des outils communs, manuellement activés, du créateur. L’objet devant est lisse, méticuleusement pensé et pareillement conçu. Il émane presque directement d’une pensée. C’est bien là la raison du type de discours critique auquel on finit par s’en remettre. On va prendre le relai de l’artiste et mesurer la pièce présentée à l’intention qui accompagne celle-ci, la soutient et nous est disertement communiquée.

Incommensurabilité

Mais, cette fois, Nicolas Baier semble avoir quelque peu quitté le champ des incommensurables entités en provenance des infinis, comme il l’avait fait avec des séries comme Astérismes, pour ancrer ses œuvres récentes dans celui de la techné d’aujourd’hui. Mais on se heurte à nouveau à une autre sorte d’incommensurabilité, alors que des œuvres montrent une réseautique tout aussi démesurée.

Prenons pour exemples le cas des Réplications. Nous voici face à des œuvres qui ont tout de radiographies. Mais celles-ci résultent d’inspections d’ordinateurs. Ceux-ci affichent toutes les traces d’une infection. Il s’agit de corruption par des blobs, curieux être rampant composé d’une unique cellule géante. Cette intrusion dérangeante illustre un monde sophistiqué potentiellement compromis par un virus d’origine humaine.

Capture semble être fait du même bois. La somptuosité des couleurs et des textures nous fait oublier que l’image résulte de la capture et de la transposition en image d’un bogue informatique, saisi lors du téléchargement d’un document. La corruption de données peut ainsi se faire poésie. C’est sur l’infini des échanges d’aujourd’hui, dans leur frénésie dépassant l’entendement et le calcul, que se fonde cette œuvre.

Mystère et révélation figée dans la matière

Nicolas baier, Vases communicants, vue d’installation, photo: Guy L’Heureux

C’est par cette formule que l’on peut donner sens et profondeur à la cohabitation des pièces Black Box, Jachère et SAS. La première est une réplique 3D d’une tour d’ordinateur. Mais celle-ci nous est visuellement inaccessible puisqu’elle a été emballée dans une boîte noire. Cette dernière contient donc, comme il se doit, des informations importantes, mais la reproduction de ces composantes, qu’on imagine être minutieusement exécutée, est hors d’atteinte. On peut, au mieux, tourner autour. Comme on le fait sans doute dans notre utilisation journalière de l’instrument dont les arcanes nous demeurent étrangers, lointaines. On l’exploite bien, mais dans une ignorance totale de sa mécanique propre. Jachère, pour sa part, est un ensemble coulé, blanc. Sous ce drap solide, compact, on devine bien le couple attendu que forment la tour de l’ordinateur et son écran. Le clavier montre aussi, en plus, fantomatiquement, ses touches et son profil.

SAS se présente à la verticale, matière monolithique noire. Sur sa surface se multiplient des composantes typiques d’un ordinateur. Cette stèle imposante s’offre comme le pendant des œuvres précédemment décrites. Une résine coulée la recouvre en son entièreté. Sont ici fossilisées, volontairement, les opérations d’ordinaire exécutées par l’engin. Dans les méandres de ce monument adressé au futur, des réserves de savoir, peut-être bien difficilement accessibles aux générations futures, sont préservées.

L’univers sondé par l’artiste est donc celui de notre entourage technologique et des instruments et outils qui nous sont proposés par lui. Avec ceux-ci, c’est un autre monde qui s’ouvre à nous et qui est aussi fabuleusement complexe, qui a des ramifications tout aussi infinies que notre environnement cosmologique. Ces Vases communicants sont peut-être cela en fait : une illustration de ce va-et-vient constant que l’artiste cherche à entretenir, entre l’insondable univers, dans sa globalité, et les instruments qui s’emploient à le décrypter et qui, eux-mêmes, créent un inframonde tout aussi inextinguible.

Nicolas Baier, Vases communicants, vue d’installation, photo: Guy L’Heureux

Nicolas Baier, Vase communicants, Galerie Blouin/Division, du 21 janvier au 11 mars 2023