Littérature : Se perdre en forêt

Il est de ces voix qui ne ressemblent à aucune autre. David Clerson possède un style qui le place dans une classe à part dans la littérature québécoise. Mon fils ne revint que sept jours confirme ce regard unique, d’une grande originalité. Une rareté à célébrer lors de chaque nouvelle publication.

David Clerson, photo: Héliotrope

Depuis Frères en 2015, David Clerson travaille une écriture luxuriante au sens propre et figuré. La nature, avec tout ce qui y bouge et y pousse, s’immisce partout et bien souvent dans l’esprit des personnages. Son premier roman brouillait les pistes entre l’humanité et l’animal. Avec le deuxième,  En rampant, c’est le monde des insectes qui le captivait.

Mon fils ne revint que sept jours se déroule dans la campagne mauricienne où une femme solitaire profite de la nature et de sa solitude jusqu’à l’arrivée de son fils Mathias qui lui rend visite pour une rare fois. Il ne sera là qu’une semaine, mais voici l’occasion pour la mère de repenser à sa vie de famille avec le père et ce fils qui est parti depuis longtemps sur les routes d’une Amérique crépusculaire. En quête de lui-même et, qui sait, de son père disparu.

« C’est beaucoup un livre sur la solitude et sur le désir de se couper du monde, explique l’auteur. Je brouille les frontières entre l’humain et la nature de façon plus organique dans ce roman. Le fils parle aux animaux et communie aussi avec la mousse et la sphaigne dans le cycle de la décomposition et de la renaissance. Il y a comme une fusion alors que dans la vie, l’homme
domine et contrôle la nature. Une attitude arrogante et prétentieuse selon moi. »

La nature semble vouloir ainsi reprendre ses droits en enveloppant les humains/parasites de ses longs bras en cours de récit. Dans ce chalet éloigné de la ville, la mère et le fils se rejoignent et s’éloignent à la fois. Les deux ont les défauts de leur qualités. Tout est complexe dans les rapports entre humains ainsi qu’avec leur environnement.

« La réalité dans laquelle on vit est fondamentalement étrange et déstabilisante. J’essaie de le rendre dans le roman. On a parfois l’impression que les erreurs de l’humanité se répètent sans cesse. Mathias est marginal, mais son attitude est très belle parce qu’elle se situe en dehors des règles et d’un monde qui va toujours plus vite. C’est très beau malgré la douleur qui l’habite
parfois. »

Mémoire vacillante

Au contraste civilisation et nature, s’ajoute une certaine confusion chez la mère vieillissante qui nage dans l’incertitude de sa mémoire et de sentiments mitigés.

« Elle marche vers sa mort en quelque part. Ce n’est pas une relation idéalisée entre la mère et le fils. Les relations familiales comprennent la plu part du temps autant d’amour que de haine. Mais les deux partagent un besoin de vivre seul, voire de disparaitre. Ils se retrouvent dans cet espace de liberté qu’est la nature. »

Se perdre en forêt a quelque chose de rassurant ici. À tout le moins, le déséquilibre exposé dans le livre a le potentiel de rendre humble celui ou celle, autre que la mère et le fils, qui écrase et tue les autres formes du vivant. Ce troisième roman, en ce sens, apprivoise davantage la lumière que les précédents. Malgré le monde qui se referme et la mort qui rôde, l’amour existe.

Extrait : « Il était parti. Il s’était enfoncé en forêt, et pour ultime parole il m’avait répété qu’il m’aimait. »

« Dans la vie elle-même, on peut basculer dans toutes sortes d’états d’esprit. La forêt est un lieu de mort et de pourriture, mais l’étrangeté c’est de voir par exemple des champignons à la fois inquiétants et magnifiques. La sphaigne constituant les tourbières pourrit et meurt, mais sur la sphaigne morte renait une nouvelle couche végétale. .Malgré la disparition du père et du fils, les choses continuent. »

Errance

L’errance devient alors un espace d’observation, de contemplation et d’acceptation des cycles de la vie. Loin, très loin des villes et de leur essence productiviste.

« J’ai insisté sur le caractère sensoriel en traduisant la psychologie des personnages par leurs comportements ou leurs actions physiques plutôt qu’en misant nécessairement sur ce qu’ils pensent. C’est aussi une façon de dire que le rapport sensoriel à l’existence me semble plus honnête qu’un rapport en tous points cognitifs. Je crois que la pensée rationnelle arrive après les
sensations. »

David Clerson ne marche pas dans l’air du temps. Pas de trace d’autofiction chez lui non plus. L’onirisme, le surréalisme et les métaphores qu’on lit dansw le roman défient l’espace-temps.

« On parle de l’étrangeté de mes livres. Mais je crois que cela reflète le monde dans lequel on est, une étrangeté qui s’approche de la réalité. Le monde dans lequel on existe n’est pas entièrement méprisable et on ne peut pas en faire absolument ce qu’on veut. Mathias vit une espèce de victoire dans l’échec, hors de l’utilitaire, hors de la propriété privée et du chemin attendu par tous les autres. »

Un sentiment de liberté sans doute qu’ont vécu pleinement Jack Kerouac et, avant lui, Arthur Cravan. « Je ne veux pas me civiliser », disait ce dernier. On the Road de la nature en soi.


David Clerson

Mon fils ne revint que sept jours

Héliotrope

126 pages