THÉÂTRE : « Être actrice va nous sauver »

Diplômée comme comédienne de Saint-Hyacinthe en 2021, Phara Thibault est entrée ensuite en résidence d’écriture à la Licorne. Le premier résultat: Chokola, un plat servi froid dont l’humour et la pertinence devraient inciter celleux qui n’ont pas encore compris ce que représente le racisme systémique dans la vie de tous les jours à visiter le théâtre de la rue Papineau.

Phara Thibault a écrit Chokola en quelques heures. Oui, c’est un véritable cri du cœur, un besoin viscéral au diapason de sa quête de retrouver sa mère biologique. Née en Haïti, la jeune dramaturge et comédienne a été adoptée par des parents québécois à l’âge de deux ans et demi

 » Quand j’ai écrit la pièce, je pensais que personne ne la lirait. C’est un avantage parce que cela m’a permis d’exposer ma vulnérabilité. Là, je dois assumer que je me mets complètement à nu sur scène. C’est un moment fragile et un défi parce que c’est très personnel. « 

Sa délicieuse pièce déborde de situations troublantes et/ou comiques où l’on comprend que ce chemin tortueux est rempli d’embûches raciales malgré les bonnes intentions de tout un chacun. Inévitablement, un esprit curieux comme le sien a longtemps cherché à savoir d’où elle venait pour connaître ses racines biologiques.

 » C’est vital pour moi. J’ai grandi en pensant qu’il m’était impossible de ne pas essayer de retrouver ma mère biologique. Je le sentais dans mon corps, même si on ne sait pas à quel moment cela va arriver. J’ai cherché ma mère souvent. J’ai été adoptée à un âge assez avancé, ce qui occasionne certaines blessures. C’est comme si ma mère avait dit avant que j’entre dans l’avion pour venir ici : Ne m’oublie pas. Je n’ai jamais pu oublier cette femme. « 

Dans la pièce, cette phrase explicite  » je suis percée de trous  » décrit très bien ce sentiment des enfants adoptés qui signifie qu’il leur manquera toujours quelque chose.

« Il me manque des bouts pour savoir à qui je ressemble, quels sont les noms de mes frères et sœurs. C’est un peu comme avoir l’impression de toujours planer dans la vie. J’espérais juste pouvoir m’ancrer enfin. Cet ancrage ne peut survenir qu’avec les réponses aux questions que l’on se pose tout le temps. Ce n’est pas lourd comme tel, plutôt léger, d’une légèreté qui étourdit. »

Adoption

Les quêtes identitaires occupent beaucoup le devant de la scène depuis plusieurs années, mais celles des liens de sang, par rapport aux remises en question nationales, possèdent quelque chose de profondément intime et concret.

« Mes parents adoptifs ne m’ont jamais caché que j’étais adoptée. Ils m’ont toujours assuré l’accès à de l’information pour que je puisse me retrouver. Leur ouverture a été très précieuse. Il restera toujours des trous, par ailleurs, parce que les questions suscitent toujours de nouvelles questions. Même si la quête de départ est terminée, je continuerai à chercher. « 

Elle a eu la chance de travailler à la réécriture et à la mise en scène de son texte avec Marie-Ève Milot (Clandestines) pour sa première expérience professionnelle. Elle partage également la scène avec la comédienne Lise Martin.

Phara Thibault souligne que son expérience personnelle a passablement nourri sa créativité.  » Être actrice va nous sauver « , écrit-elle dans la pièce.

 » Petite, je m’inventais des histoires. Peut-être que c’est à la base de mon désir de devenir comédienne et de faire du théâtre. J’ai toujours eu le besoin de me compléter par mes propres histoires. C’est un moyen de survie aussi. »

Même les gens empathiques peuvent reproduire des clichés et des préjugés par rapport à une personne qui est parachutée dans une nouvelle culture. Ceci relève justement du racisme systémique, c’est-à-dire des perceptions et croyances ancrées dans le subconscient des gens depuis fort longtemps.

 » En grandissant dans une famille blanche, on ne m’a jamais appris ce qu’était le racisme, mais j’accumulais des blessures face aux maladresses et aux préjugés. L’idéal blanc est présent dans les jouets et la couleur des poupées par exemple. Je l’assimilais sans m’en rendre compte. Ma mère adoptive et moi avons fait notre chemin par rapport aux microagressions raciales. Aujourd’hui, j’ai moins de patience pour le racisme. J’ai beaucoup compris, avec le mouvement Black Lives Matter, ma propre enfance. J’ai écrit Chokola, entre autres choses, pour établir un pont avec ma mère adoptive et, depuis, on se comprend beaucoup mieux. La poésie a ce pouvoir. « 

Autobiographie

À la fin de la pièce, on ignore si la protagoniste a retrouvé sa mère biologique. Il reste encore des pistes à explorer pour la dramaturge/comédienne.

 » Il pourrait y avoir une suite. De plus, je ne suis jamais allé à Haïti et j’en rêve. Ça va beaucoup m’aider, j’en suis convaincue. « 

Le Québec et l’Amérique du Nord continueront évidemment de l’inspirer aussi. Il y a tant à dire de la part d’une artiste comme elle qui peut voir certaines situations avec son regard unique. Voilà une voix qu’on aurait tout avantage à écouter et à comprendre.

 » Je l’ai à cœur « , conclut-elle.


Chokola est présenté à la Licorne jusqu’au 14 avril. Il y aura une rencontre avec le public après la représentation du 16 mars.