THÉÂTRE : Fournisseur d’avenir

Olivier Morin, Guillaume Tremblay et Navet confit

Après 10 ans, les trois astrologues du Théâtre du Futur croient encore un peu beaucoup passionnément en l’avenir. Toujours in jamais out, ils soufflent les chandelles d’un gâteau virtuel avec La colère des doux du 7 au 30 mai. Olivier Morin, Guillaume Tremblay et Navet confit ont transposé leur carte du ciel sur celle d’un Québec éclaté. Comme quoi le Futur parle du temps présent.

Il faut être de son temps. Le Théâtre du futur met en pratique cette maxime depuis 10 ans maintenant. Leur nouvelle pièce La colère des doux sera virtuellement virtuelle. Réelle, donc? Bien réelle dans le labeur en tout cas. Ce nouveau spectacle a nécessité beaucoup plus de travail que d’habitude. Les trois futurologues, Olivier Morin , Guillaume Tremblay et Navet confit n’allaient surtout pas se contenter d’une captation filmée.

 » Ça fait deux ans qu’on travaille sur La colère des doux. On y parle du grand schisme avant que le grand schisme ne survienne… « , souligne le mystérieux Navet confit, véritable grosse légume des devins divins.

 » Si on se souvient des tout premiers films de l’histoire, note le tout-d’un-coup-devenu-sérieux Olivier Morin, les plus audacieux dans leur réalisation était faits par des gens du milieu du théâtre. On est dans cette continuité. On s’est inspiré de l’inventivité des Méliès et Cocteau. Venant du théâtre, on avait envie de faire éclater les codes du cinéma. « 

La colère des doux c’est celle de tous les Québécois supposément bonasses qui en ont ras-le-bon de passer pour de bonnes pâtes qui n’aiment pas la chicane et qu’on peut pétrir jusqu’à la fin des temps. En d’autres mots pas pantoute pareil: c’est le récit d’une guerre civile au Québec qui se solde par un éclatement des villes en de multiples villages. Chacun décide d’aller vivre en région, en clans, entre personnes qui pensent comme eux. 

 » Il y a une douceur, c’est sûr, convient Olivier Morin, mais ça vient d’une animosité et d’une méfiance envers les autres. Si on reste dans un silo avec des gens qui pensent comme nous, qu’est-ce qui se développe comme mentalité ? « 

« Sans parler de pandémie, poursuit le néo-rural Guillaume Tremblay, ça raconte les péripéties de gens qui ne peuvent pas se voir en vrai et qui finissent par se retrouver avec des gens avec qui ils ne s’entendent pas. Ça ressemble à ce qu’on vit en ce moment. »

« Film »

Le « film » est composé de capsules allant d’une à 40 minutes jouant sur les perceptions qu’on peut avoir du Québécois ultra-moyen vivant dans un extra-grand territoire. Version cannes de binnes d’un mash up entre Lars Von Trier et Christopher Nolan, époque Inception.

« On a choisi de parler du Québec, mais cela aurait pu se passer en Islande, dit Olivier Morin. L’histoire pourrait très bien se passer ailleurs. »

Mais encore?

« C’est un show en cinq actes, précise Guillaume Tremblay. Entre deux actes, on revient à la carte du Québec qui évolue à cause d’un grand schisme. Le spectateur peut aller regarder ce qui se passe dans tel village ou tel autre. Ça ajoute à l’expérience. On voulait faire une sorte de cosmogonie avec une histoire en huis-clos. »

Théâtre à la carte

En achetant un billet sur le site du Théâtres aux écuries, le public aura accès au site La colère des doux et à une carte interactive où il sera possible de prendre l’autoroute ou des chemins de travers, narratifs ou pas.

 » Le récit s’adresse au Vous avec un grand V, explique Olivier Morin. Il y a des aVatars que nous jouons tous les trois ou pas. L’idée est de raconter Votre destin puisqu’il s’agit d’un spectacle où Vous êtes le héros. »

Si le théâtre est à la carte, la musique ne fait pas chanter les trois créateurs, mais demeure omniprésente d’un bout à l’autre de ce vidéo d’or.

« Une grande partie du show est accompagnée de musique, estime Navet confiot. L’acte un est une suite de toutes sortes d’affaires allant à toutes sortes d’affaires, du funk à la prog de lutins à la Gentle Giant en passant par de la musique des années 90. Le show est très low-fi avec du lip sync un peu décalé, mais c’est une qualité plutôt qu’un défaut . « 

De la scène au studio

Prévu pour le début de 2021 au départ, La colère des doux a attrapé la COVID-19 et s’est transformé en cinéma des premiers temps.

 » On ne voulait pas d’effet captation, rappelle Guillaume Tremblay. Il y a tout un travail de collage et de construction visuelle qu’Olivier ex-étudiant-en-cinéma Morin a fait. Ce n’est pas notre médium. On se l’est approprié avec tout ce que ça représente de nouveautés et de temps nécessaires. Pour les spécialistes, précisons qu’on a utilisé le Iphone 11 Pro. »

« Deux directeurs photo nous ont aidé, mais on assume complètement le côté DIY (Do It Yourself ou faites-le-vous-même) de la chose. C’est une production assez abordable finalement », d’ajouter Olivier Morin.

Doit-on ajouter que les trois complices sont de réels illuminés divinatoires. Dans leur spectacle inaugural, Clotaire Rapaillel’Opéra Rock la joyeuse troupe avait parlé d’une épidémie, un genre de pandémie de petite taille, de gastro foudroyante provoquée par de la mauvaise sauce poutine. Et père fondateur du Futur, le dit Clotaire suggérait déjà il y a 10 ans qu’il fallait « embrasser la technologie du jour » [traduction: écoutez la science].

Leur 10e anniversaire se voudra donc une fête drolatique comme toutes les autres avec ou sans jeux de mots. Il n’y en pas point d’ailleurs dans la phrase qui précède. L’absurde, le burlesque, l’imagination baroque toujours à l’avant-plan. Même si le rire peut prendre la couleur du soleil parfois.

 » Ce n’est pas une fable à message, note Olivier Morin, mais il y a tout de mêmes des critiques face à nos façons de vivre. « 

Le Futur du Théâtre a toujours aimé nager dans les eaux troubles, ambiguës. Le renouvellement de leur art ne passe pas par des visions nécessairement pénétrantes, mais par un questionnement réel à propos des sujets sur lesquels ils souhaitent surfer.

« On se demande ce qui relève d’une évidence ou du connu, décrit Olivier Morin. Il faut que ce soit des sujets pour lesquels on ne trouve pas toutes les réponses, que ça reste dynamique. C’est un travail d’échange entre nous trois. De là naît la lumière et la constellation vers laquelle on veut aller. »

Écoutez la science!

Scientifiques ou science-fictionels ? Un peu tout ça et plus loin encore. Comme dans Les secrets de la vérité, autour du mythique mystifiant Elon Musk ou Épopée Nord, qui se déroule en 2035 dans la République du Québec, il y a toujours cet heureux mélange de folklore québécois mariné dans le présent dont parle au passé le Futur !

« À partir des Secrets de la vérité je dirais, on a cherché à s’amuser un peu plus avec le spectateur, affirme Guillaume Tremblay. Le show parlait quand même de conspiration avant les grandes vagues de conspirationnistes, le rapport à la vérité. C’est pour ça qu’on laisse des reliefs et un sens ouvert dans les textes. »

« Il s’était passé la même chose avec Rise of the la planète of les chiens [genre une fable inspirante sur le vivre-ensemble], se rappelle Navet confit. Après L’assassinat du président, on saluait et on revenait avec un show de 20 minutes complètement absurde. Les gens se demandaient ce que ça faisait là. Au même moment, la Chartes des valeurs de Pauline Marois est sortie et on passait soudainement pour des visionnaires. »

Le trio partagera sa boule de cristal avec le public les 13, 20 et 27 mai. C’est une rencontre zoom gratuite pour laquelle il faut réserver. Et afin de souligner en grosse pompe les 10 ans du Théâtre du Futur, la troupe invite les cosmogoniques à visionner, pour un mois seulement sur leur site web, l’intégrale de leurs captations vidéo.


Infos: auxecuries.com

theatredufutur.ca

https://www.youtube.com/watch?v=3CZVdPGxxnY