LITTÉRATURE: Pierre Samson autopsie le Mile End de 1933

Pierre samson, photo: Sandra Lachance

Pierre Samson a créé un immense roman sociohistorique avec Le mammouth. Un livre minutieux, rigoureux sur un Montréal cosmopolite avant le mot. Le romancier primé a reconstitué un fait divers de 1933 et en a fait le récit d’un quartier, d’une ville corrompue et xénophobe. Il nous livre une leçon d’histoire.

Le mammouth du titre du premier roman de Pierre Samson chez Héliotrope a vraiment existé. C’était le surnom de Nikita Zynchuck, un pauvre type, « une créature opprimée par l’époque terrible qu’il a traversée ». Tué par une balle dans le dos provenant d’un policier xénophobe, italien de surcroît, en 1933 à Montréal.

Pierre Samson a tiré ce fait divers de l’oubli pour raconter un Montréal cosmopolite et corrompu. Le romancier a reconstitué rue par rue, maison par maison, étage par étage le Mile End dans un récit où la majorité des personnages ont réellement existé. Il en résulte un portrait saisissant, passionnant.

« Pour ce roman, j’ai beaucoup ramé à faire des recherches. Je me suis arraché les yeux. Je ne suis pas historien, mais je fais généralement beaucoup de recherches. J’ai été recherchiste à la télé et à la radio. Je suis très carré et je voulais faire quelque chose de très structuré. »

L’écrivain a dessiné sur un immense tableau le quartier de l’époque afin de mener à bien le projet. Perfectionniste un peu excessif, confie-t-il, il a créé une « structure béton » pour laisser, ensuite, libre cours à son imagination.

« Les dialogues sont de moi, évidemment, ainsi que le personnage de Simone et son entourage. J’ai découvert des choses intéressantes quand même dans la recherche comme l’Hôpital carcéral de Montréal du ministère de l’Immigration. J’ai retrouvé les plans de cette institution aux Archives nationales. »

Son roman raconte une histoire des plus vraisemblables fourmillant de couleurs, d’odeurs, en plus du nom de plusieurs protagonistes, dont Léa Roback, Fred Rose ou Camillien Houde.

Le mammouth c’est un voyage dans le temps qui parle beaucoup des relations de travail dans les années 30, des abus des employeurs, du pouvoir corrompu, des syndicats et des comunissssss. La mouvance de gauche, bref.

« J’ai trouvé des lettres de dénonciation puisque c’était un crime à l’époque d’être communiste. Le quartier était multiethnique et le communisme était associé à la population juive. Les juifs ont beaucoup milité pour défendre les droits des ouvriers. C’était très fort dans le Mile End, mais il y avait des unités dans d’autres quartiers. La gens étaient pauvres et les organisateurs leur donnait le gîte et le couvert s’ils venaient assister à leurs activités et leurs discours. »

Extrait du livre

« Simone s’enfonce dans un univers inédit, lui semble-t-il, car ses sens ont acquis une acuité nouvelle : elle perçoit les mêmes signes qu’auparavant, certes, mais elle les décode différemment et, là, pendant cette lente progression vers une destination inconnue, elle reconnaît un peuple, le sien, c’est-à-dire l’ensemble de ces êtres condamnés à l’oubli et au silence, une horde composée de créatures au regard fermé, d’hommes aux poings soudés, d’adolescentes affligées d’exosquelettes de métal et de chaussures à semelle compensée, d’enfants épuisés en hardes d’ouvriers qui parlent le français des Montréalais, ponctué de r roulés et de fortes diphtongues, mais aussi l’italien, l’anglais des Irlandais, le chinois, le yiddish et d’autres langues d’une Europe déchirée et raccommodée de-ci de-là dans la ville. »

Amour et politique

Pierre Samson tisse une histoire d’amour impossible entre cette francophone de sa création et un leader juif ayant existé, Joshua Gershman. Mais l’auteur se retient d’en faire le cœur du récit.

« J’ai plutôt amené le récit vers sa prise de conscience féministe à elle. Ça m’a permis d’éviter de faire en sorte que son émancipation passe par un homme. Comme inspiration, j’avais quand même Léa Roback et Bella Gordon qui ont existé. »

Vu à travers le prisme du roman, ce Montréal a connu plusieurs conflits entres les employeurs, les pouvoirs politique et religieux, d’une part, et les travailleurs et les immigrants, d’autre part.

« Après la crise de 1929, beaucoup d’immigrants se sont retrouvés chômeurs. Les Canadiens-Français se résignaient, mais les autorités religieuses étaient antipathiques aux autres cultures et religions. Ce qu’on reprochait aux marchands juifs, par exemple, était d’ouvrir le dimanche et de faire crédit, alors que c’était interdit aux catholiques. C’est une histoire d’amour manqué entre les Québécois et les nouveaux arrivants, je crois, en raison des pouvoirs qui nous dominaient. On avait davantage en commun avec les Juifs qu’avec les anglophones qui possédaient tout à Montréal.« 

Hier et aujourd’hui

Pierre Samson estime que les choses n’ont pas beaucoup changé à Montréal depuis les années 30. Qu’on pense à la tragédie de la mort de Fredy Villanueva ou aux agissements de la police durant le Printemps érable.

« Ce qui m’a étonné dans l’histoire de Nikita Zynchuck c’est qu’il était Ukrainien et qu’il a été tué par un fils d’immigrant. À quel moment décide-t-on qu’on n’est plus immigrant? Qu’un policier d’origine italienne bascule du côté des propriétaire, du pouvoir. Le policier a déclaré que Zynchuck était un sale communiste et il a été innocenté. »

Ce qui donnera lieu à un semblant de soulèvement populaire qui a été réprimé aussi dans la violence. L’auteur en profite d’ailleurs pour conclure le livre sur un énoncé de l’actuel Bureau des enquêtes indépendantes, créé pour lever les soupçons sur les enquêtes impliquant des corps de police, mais dont les rapports ne sont pas publics.

« Hier comme aujourd’hui, le pouvoir a toujours manqué de transparence », souligne Pierre Samson.