
Yvon Rivard revient sur Le chemin de l’école qu’il a tant parcouru. C’est là précisément qu’il veut amener le lecteur, dans une vision à la fois simple et large de l’enseignement. Dans une école qui enseigne à apprendre, qui donne le goût d’apprendre, plutôt qu’uniquement l’envie d’un emploi bien rémunéré. L’école qui forme des citoyens et non seulement des employés.
Après 35 ans d’enseignement et un essai récent Aimer, enseigner (Boréal) – qui déboulonnait le mythe du Dieu/Éros professeur -, Yvon Rivard poursuit sa réflexion sur une éthique de l’enseignement. Publié chez Leméac, Le chemin de l’école n’est pas celui des lois du marché, mais bien cette route ouverte aux grands vents qui permet de « conquérir notre humanité ».
A contrario d’une société utilitariste, où la performance est maître, Yvon Rivard referait les programmes du primaire et du secondaire en s’en tenant à la simplicité suggérée par Marguerite Yourcenar au sujet de matières comme la planète à protéger, quelques notions de morale sans lesquelles la vie en société est impossible, le nom des plantes, des animaux et le travail, quand il est utile.
« Elle dénonce l’ignorance favorisée autant dans les démocraties que les régimes totalitaires, souligne l’écrivain. Si on maintient les gens dans l’ignorance, on les domine. On vit une culture de la domination. Pour maîtriser quelqu’un, on le voit bien chez les prédateurs, il s’agit de l’isoler du reste de la communauté. Le savoir, tel qu’on l’enseigne en ce moment, isole chaque objet. Même Pascal le disait: savoir tout d’un peu c’est imbécile, savoir un peu de tout, c’est mieux. »
Dans ce livre brillant, l’auteur tisse une trame d’une logique inébranlable reliant les pensées de plusieurs autres qui, comme lui, ont réfléchi à l’éducation et à l’art d’enseigner: Hannah Arendt, Virginia Woolf, Kafka, Rilke, Pessoa, Gabrielle Roy et Pierre Vadeboncœur, pour n’en nommer que quelques-uns.
« En littérature, et j’ai l’impression que c’est la même chose en arts, on cherche à nous expliquer ce qu’on va lire ou voir comme oeuvre. Peut-on lire et voir en paix? C’est une tendance lourde en éducation, le discours « sur », celui qui complique tout. C’est une faillite le système d’éducation. On peut tourner autour du pot, mais il faut quand même le dire. Le ministère de l’Éducation est l’expression de la sur-spécialisation. Ils font appel aux sciences cognitives, si bien que plus personne n’apprend rien. »
La voie est pourtant toute tracée depuis longtemps et plusieurs le disent: il faut retrouver le plaisir d’apprendre. Ce n’est pas en faisant quatre opérations, au lieu d’une seule, pour arriver au résultat de la division de 21 par 7 qu’on va y arriver.
« Je ne veux pas qu’on revienne au cours classique, ajoute-t-il, mais on a laissé s’instaurer une dérive avec les facultés d’Éducation. On a créé le ministère de l’Éducation, ce qui était nécessaire, mais il est devenu une machine monstrueuse qui empêche les gens de travailler. »
Dans son livre, Yvon Rivard parle même de l’importance du silence à l’école. On y va, souligne-t-il, « pour apprendre à se taire et avoir un contact avec l’immédiat, avec l’être d »une certaine façon. Sans cela, même avec la plus belle technique du monde, on passe à côté de quelque chose. »
Verticalité
En outre, un enseignement, qui aplanit tout avec le rouleau compresseur de la productivité et au sein d’une culture sans verticalité, empêche toute élévation de l’esprit, de la pensée.
« On est contre l »institution religieuse, ça va de soi, mais la fonction religieuse d’être relié à quelque chose qui nous dépasse, le système de consommation et le ministère de L’Éducation le sabotent constamment. Dès que quelqu’un dépasse cette horizontalité avec une sorte de foi dans l’ampleur de l’être, on ne peut plus le ramener au bercail puisqu’il s’est élevé. Alors, on détruit ça. »
La première révolution doit être celle de l’éducation, selon lui. Il cite en exemple le système finnois, tel que démontré dans le documentaire The Finland Phenomenom, où les élèves apprennent les matières de base, langue, calcul, histoire, et rentrent à la maison à 15 heures, tout en se classant parmi les meilleures d’Europe.
« Ils ont le temps d’apprendre. Un enfant ou un adulte qui apprend a besoin de temps. Lire, ça prend du temps. On ne peut pas lire comme on va à la shop. »
Yvon Rivard croit qu’il faut aller jusqu’à remettre en cause les facultés d’Éducation dans les universités.
« Les gens qui étudient dans ces facultés ne sont pas plus bêtes que les autres, mais il faut leur donner des cours de littérature spéciaux parce qu’ils sont trop faibles. Juste la description des cours en Éducation, il faut la traduire en français. C’est un jargon lourd et incompréhensible. Les étudiants en Éducation baignent là-dedans, alors quand on leur met un texte littéraire entre les mains, ils sont complètement perdus. »
Dans Le chemin de l’école, l’essayiste s’intéresse surtout à l’enseignement supérieur. Il se rappelle, quand il enseignait encore, d’une lettre qu’il avait reçue de la faculté d’Éducation après 20 ans d’enseignement à McGill.
« On disait aux professeurs d’université qu’ils devraient se perfectionner en suivant des cours de pédagogie. Quand j’ai reçu cette lettre, j’ai écrit à la personne responsable de la faculté que, si eux voulaient apprendre à enseigner, je serais heureux de les recevoir dans mes cours. Ce n’est pas pour rien qu’il y a des réformes tous les 15 ans. »
Cégep
Le devis ministériel au cégep laisse le choix des œuvres aux enseignants, mais les oblige à aborder la matière sous l’angle de la dissertation, l’analyse de texte, la critique, les figures de style, notamment.
« Ils font faire aux étudiants quatre niveaux de dissertation. Je ne comprends pas la différence et j’ai fait un doctorat! J’ai dû déprogrammer des étudiants de cégep une fois à l’université. Ils ont fini par enseigner avec ma méthode. La plupart des profs ont intériorisé le discours des fonctionnaires. Comment peuvent-il éveiller leurs étudiants à la pensée et à l’art si eux-mêmes ne le sont pas? »
Ce modèle industriel – sorte de mode de reproduction automatisé – de formation des enseignants les éloigne considérablement des arts et de la littérature la plupart du temps.
« Un bon prof ce n’est pas celui qui donne un bon show, c’est celui qui t’a fait lire le bon livre au bon moment. C’est un passeur, quelqu’un qui amène l’étudiant au livre. Il faut indiquer la direction, le chemin et les faire travailler, puis corriger. Une chose très simple : une phrase qui est mal foutue veut dire qu’il y a quelque chose qui a échappé à son auteur. »
Littérature
L’art peut aussi emprunter le mode industriel en reproduisant des modes ou des recettes. En création littéraire, il ne faut pas baliser le parcours à l’extrême, mais faire confiance au langage qui nous structure toutes et tous.
« Ce n’est pas facile la création littéraire, moins qu’un cours de littérature. Si, dans la correction, on devance trop l’élève, si on l’empêche de déraper trop tôt, il n’y parviendra pas. Il faut être patient… et impatient quand il fait du surplace pendant 20 pages. La relation de confiance est importante aussi. »
Le professeur doit, selon lui, entrer dans le monde des 20 personnes qui sont devant lui, toutes et tous uniques, à défaut de quoi il sera incapable de leur venir en aide. Un geste de générosité quoi.
Aujourd’hui, l’une des immenses satisfactions d’Yvon Rivard reste de suivre la naissance et la croissance des écrivains. « Ce sont comme nos enfants », fait-il. Il poursuit donc son travail d’édition chez Leméac. Éditer, c’est aussi enseigner. Un autre plaisir d’apprendre.
« Quand tu fais lire à un étudiant un livre pour le choc que le livre t’a donné, tu le revis dans la lecture de l’étudiant. Moi, j’ai eu des étudiants qui m’ont fait redécouvrir Virginia Woolf. L’élève te ramène dans un contact premier avec les œuvres, le langage, les écrivains. Le moi se forme en s’élargissant. Il faut fermer les portes et ouvrir les fenêtres. »
L’époque ferme les frontières et les esprits en même temps qu’elle fabrique de l’oubli. Il y aura donc toujours à apprendre et, heureusement, de la place sur les bancs d’école.
Encore faut-il trouver la bonne.

Extraits du livre
« Je crois encore qu’il n’y a pas de plus beau métier que de protéger l’esprit contre la bêtise tantôt en l’exposant à une lumière plus vive ou à des ténèbres plus opaques, tantôt en le déployant dans la lenteur des choses familières. »
« On connaît la suite: les cours sont passés de quatre à trois, et aujourd’hui risquent de passer à la trappe de « l’adaptation » aux besoins du marché, tout comme la littérature grugée sournoisement par les « communications », cet art de dire ce qui reste de la parole une fois que le silence en a été extirpé. »
« Il ne s’agit donc pas de ne rien enseigner, de ne rien apprendre, mais d’enseigner à apprendre sans cesse, de faire du savoir un passage vers l’être, une exercice d’attention qui soutient notre regard, notre pensée jusqu’à cet instant où nous devenons ce que nous voyons, nous étudions. »
« Quand les armes parlent, crachent le feu ou l’intolérance, c’est que les êtres ont perdu leur humanité en renonçant au langage, qui leur révélait qu’ils étaient plus petits et plus grands qu’ils ne le croyaient, et en se détournant du silence dans lequel le langage retourne comme à son origine. »