
Le prolifique Louis-Philippe Hébert nous arrive avec six nouvelles, réunies dans le recueil Essais cliniques aux laboratoires Donadieu, qui hument parfaitement l’air du temps présent. Même que, dans bien des cas, elles ont précédé le vent sifflant en ce moment sur nos têtes. Voici le regard unique d’un conteur-né qui, avant qu’il ne soit trop tard, nous donne, maintenant que nous le lisons, des pistes de réflexions pour l’après.
Comme c’est un livre plus qu’actuel, ouvrons-le par la fin. La plus longue nouvelle du recueil de Louis-Philippe Hébert, Essais cliniques aux laboratoires Donadieu, s’intitule Le virus de la fatigue. Écrit à l’été 2019, après vérification avec l’auteur, le texte vient donc d’être publié en février. Il porte sur un étrange virus qui cause la fatigue extrême et la mort des personnes contaminées.
Le récit prend la forme d’un journal tenu par un journaliste de La Presse qui rapporte les événements de la journée. 31 fois en tout. Un mois complet où les gens tombent comme des mouches et où l’homme assiste, impuissant, à la décrépitude de sa propre épouse. Comme dans le cas de la COVID-19, la fatigue cause un ralentissement global de la vie en société, « univers si diamétralement opposé à lui-même », permettant, entre autres, de réfléchir au temps qui ne passe plus.
Fin observateur des mœurs de ses contemporains, le narrateur décrit les abus, les dénonciations, les théories du complot et les violences que se permettent certains et conclut que « le mal est présent en nous. Nous en sommes les porteurs involontaires ». Un temps, il sera d’ailleurs épargné par la contamination puisqu’il ne fréquente pas les « endroits où il y avait trop de monde collé les uns sur les autres ».
« Ce n’est qu’un mauvais moment à passer », diront les élus qui n’ont, pas plus que les nôtres, réponses aux trop nombreuses questions. Louis-Philippe Hébert, non plus, mais il décrit si bien ce qui nous arrive devant l’urgence insupportable, les interminables perplexités, le désespoir ambiant. Le mépris viral qui s’empare de tous, y compris, parfois, du narrateur confiné. On assiste souvent au pire de l’humain analysé avec un humour allant du bon enfant au noir et au sarcastique.
Il en va de même du reste du recueil d’ailleurs. L’auteur est passé maître dans l’art de faire sourire avec des phrases courtes, réflexions saugrenues, commentaires comiques et développements inattendus. Son regard reste toujours frais, toujours inventif devant les inepties ou les indifférences des personnages.
Momento
Ce livre de Louis-Philippe Hébert s’offre telle une jungle luxuriante. La première nouvelle, au titre éponyme du recueil, s’attaque à l’industrie pharmaceutique et à l’entreprise Momento, un nom qui renvoie évidemment à la multinationale Monsanto.
Le narrateur succombe à la publicité: « faites de l’argent en vous laissant faire » en devenant cobaye à expérimentations. Le slogan pourrait s’adapter à bien des tâches quotidiennes, avant ou pendant la crise virale que nous connaissons. Dans le ghetto que peut représenter une activité rémunérée dans une « vie qui est le cancer de la matière ». Bienvenue dans le capitalisme sauvage.
Les traînées de poudre laissées par les avions, la café du Starbucks, le regard inquisiteur des autres, le labo qui a tout planifié… notre homme a beau être brillant, il devient de plus en plus parano. La prose de l’auteur nous entraîne dans le tourbillon d’un cerveau en train d’imploser à force de prédire l’explosion à tout moment. Avec des phrases brûlantes d’actualité qui surgissent de nulle part.
« Frayeurs par milliers dans le vaste dortoir des condamnés. Qu’on exécutera à l’aube. Je dis ça pour rire. Calmer l’angoisse n’est pas si facile. Avec les mots: « Centre d’hébergement de soins de longue durée/CHSLD ». »
Entre les nouvelles du début et de la fin, quatre textes plus courts qui traitent d’un tueur né dans une centrale nucléaire japonaise, une mangeuse d’homme travaillant à l’aéroport, un écrivain d’âge mûr croyant que son corps rajeunit au fil du temps et deux amis sur les traces de l’écrivain H. P. Lovecraft à Providence, USA.
Mort, cannibalisme, vieillissement, décrépitude… Ce sont des solitaires qui fuient la réalité. Des êtres aux prises avec la fin du monde. Si ce n’est de tout, c’est de leur propre anéantissement et de proches dont il est question. Fin renard, l’auteur narre toujours avec un sourire en coin. Amoureux des mots et des situations inusitées, il trace le portrait d’univers étranges et de personnages singuliers.
Clairement inspiré par les Cortazar, Lovecraft et autres Jean Narrache et Rabelais, il déploie sa grande expérience de la vie pour nous embarquer dans son beau grand bateau qui navigue habilement entre invraisemblable et divinatoire.
Louis-Philippe Hébert nous parle, en fait, de notre monde. Here and Now, où la Fuck You généralisée nous a amené au bord de l’abîme. Reste à sa voir s’il s’agit de celui du rêve ou de l’enfer. Jungle, disions-nous. Salieri lui reprocherait trop de notes ou de mots, certains calembours notamment, mais l’auteur a tellement la maîtrise du jeu avec le lecteur qu’on ne saurait trop lui reprocher.
Dans le laboratoire de Dieu, si nous ne nous entre-dévorerons pas tous, nous risquons d’en sortir atomisés. Comme des zombies dans une ville américaine. Morts de fatigue.
**********
Louis- Philippe Hébert
Essais cliniques aux laboratoires Donadieu
Lévesque Éditeur
232 pages